Mémoires, articles, études de cas, clinique individuelle et de groupe.

dimanche 24 janvier 2010

«METS TES PIEDS DANS MES GENOUX !»



Rencontre avec un enfant énigmatique





Résumé

Antoine est un enfant que je rencontre lors d'un stage en Institut Médico-Éducatif. La difficulté de l'équipe éducative à apporter une aide appropriée à ce jeune garçon donne lieu à une demande de prise en charge individuelle hebdomadaire. Antoine m'est alors adressé, dans le but de permettre un premier repérage de sa symptomatologie, de sa problématique personnelle. Une différence notable émerge entre son rapport à l'autre en situation de groupe et en situation duelle. En groupe, Antoine s'isole et entre peu en contact avec les enfants ou avec les adultes. En séances, Antoine est particulièrement vivant, et répète ainsi dans le transfert son désir de redonner vie à une figure maternelle dépressive. Antoine est dans une demande de contenant, et alterne sans cesse entre incorporation de la pulsion de vie et projection de la pulsion de mort. L'étrangeté ressentie au contact de cet enfant m'amène à faire le lien entre son rapport au monde et la notion de faux self élaborée par Winnicott. Son mode de relation à l'autre est lui aussi très particulier mais, relié à son histoire, celui-ci peut-être entendu comme la manifestation d'une angoisse précoce de déréliction.


Mots-clés :

Enfant
Étrangeté
Identification projective
Étayage psychique
Capacité de symbolisation
Faux self
Déréliction


INTRODUCTION


L'Institut Médico-Éducatif qui m'accueille me permet d'effectuer un stage auprès de jeunes enfants et m'apporte une nouvelle expérience pratique, riche. Les ateliers (conte et peinture) et les réunions sont les premiers espaces que je découvre au sein de l'institution.

En cours d'année, il m'est donné de rencontrer Antoine. Les séances individuelles avec cet enfant vont faire l'objet de nombreux questionnements et aboutiront à l'élaboration de ce travail de recherche. Son étrangeté apparaît de manière récurrente et provoque en moi le désir de comprendre quelque chose de sa souffrance, d'aller chercher dans la théorie des éléments de réponse et de compréhension. Bien que cet enfant restera toujours une énigme, je vais tenter de présenter les symptômes manifestés afin d'élaborer dans cette étude clinique, singulière, une première approche de ce qui a pu faire défaut dans son histoire.

Je présenterai dans une première partie l'institution où est accueilli Antoine, la méthodologie utilisée, puis les éléments anamnésiques disponibles sur cet enfant. La seconde partie me permettra de présenter la clinique du sujet à partir des éléments du dossier, de l'équipe et des séances. Un dernier chapitre articulera les éléments cliniques avec divers apports théoriques issus de la psychanalyse.



PREMIÈRE PARTIE : DISPOSITIF DE RECHERCHE

1. Présentation de l'institution
L'institution dans laquelle se déroule mon stage est un IME[1]. L'établissement accueille des enfants qui peuvent présenter une atteinte neurologique, une forte carence éducative ou une problématique personnelle. L'accueil est mixte et les enfants ont entre 6 et 14 ans. Ils présentent une déficience mentale légère ou une efficience mentale limitée par des troubles du caractère et / ou du comportement. « "L'échec scolaire" représente le "dénominateur commun" de notre population. Sans doute est-ce là une notion vague et imprécise mais qui est le constat d'une impossibilité réelle ou fantasmée de poursuivre la scolarité dans une structure dite normale [2] ». Trente enfants sont accueillis en internat, c'est-à-dire qu'ils dorment sur place la semaine et retournent dans leur famille d'origine ou d'accueil en fin de semaine et pendant les vacances. D'autre part, vingt-cinq enfants sont accueillis en externat. Dans la journée, les enfants externes vivent avec les enfants de l'internat qu'ils retrouvent chaque matin et qu'ils quittent chaque soir lorsqu'ils retournent dans leur famille. Les enfants sont ainsi mélangés pour former plusieurs petits groupes. Trois temps rythment leur journée : les temps scolaires ; les temps éducatifs (qui concernent les repas, les temps libres, les loisirs,...) ; les temps thérapeutiques individuels (psychothérapie et entretiens cliniques hebdomadaires) et collectifs (ateliers à visée thérapeutique hebdomadaires). Lors des temps de récréation, les enfants se retrouvent principalement dans une grande cour entourée par les bâtiments anciens de l'IME. Cet espace contient un terrain avec de la pelouse où ont été déposé deux buts pour jouer au football. Une route à sens unique et des places de parking contournent cet endroit. Les enfants peuvent aussi aller au jardin ou dans la petite forêt de l'établissement. Le cadre me semble particulièrement beau, calme et épanouissant. Pour les repas, les enfants ont encore la chance d'être nourris avec des plats préparés sur place par des cuisinières. Le travail institutionnel avec les enfants, prend en compte les aspects thérapeutiques et socio-éducatifs, et a pour objectif de favoriser leur épanouissement intellectuel, affectif, social et corporel ; d'acquérir le sens du réel, la rationalité, ainsi que la capacité de symbolisation et de sublimation. L'IME se donne pour mission de créer un environnement constituant une enveloppe sécurisante pour l'enfant, tout en notant que pour être contenant, les modalités du soin doivent être repensées quotidiennement « sinon il [l'établissement spécialisé] retournera inéluctablement vers l'archaïsme de la mère toute puissante.[3] » Par ailleurs, il me semble intéressant de noter la sensibilité clinique de l'institution, comme le montre l'extrait du projet d'établissement ci-dessous. Ce texte précise en effet que les problématiques personnelles des enfants se caractérisent le plus souvent par des pathologies limites où l'enfant présente « un comportement et des attitudes aux aberrations évidentes d'allure dissociative le plus souvent. (...) liées à des défaillances et à des distorsions de l'investissement libidinal et narcissique dont l'enfant est l'objet de la part de son entourage ; d'où de sévères failles narcissiques, des défauts d'organisation de l'espace transitionnel, des débordements du « pare excitation ». De telles dysharmonies comportent toujours des atteintes dominantes des supports de la pensée et de la représentation à relier à des retards dans le développement des fonctions instrumentales ou cognitives.[4] »      

2. Le travail de recherche
Ma pratique de stage commence en octobre avec la co-animation d'un atelier conte et l'observation d'un atelier peinture. Ces deux ateliers m'apportent un matériel clinique de groupe très riche. Je pense tout d'abord effectuer mon travail de recherche sur l'atelier peinture, étant donné que celui-ci se déroule avec peu d'enfants et que ma place d'observatrice me permet de prendre des notes au sein même de l'atelier. Cependant, je commence à partir du mois de janvier, des entretiens individuels avec un enfant (que je nommerai « Antoine » afin de préserver son anonymat), lors desquels de nombreux questionnements à son sujet apparaissent. D'autre part, pour l'élaboration d'un premier travail de recherche, la clinique individuelle me semble plus abordable que la clinique de groupe. Choisir Antoine pour ce travail de recherche me semble alors naturel.

3. Pourquoi Antoine ?
Antoine, dont il sera question dans ce travail, est accueilli à l'externat de l'IME depuis septembre 2006. Au cours du mois de décembre, les éducateurs demandent au psychologue de mettre en place une prise en charge psychothérapeutique pour Antoine, pensant que celui-ci a besoin d'un espace de parole individuel. L'équipe se dit en difficulté face à la pathologie imprécise d'Antoine. Cet enfant étant nouveau dans l'institution, mon tuteur de stage me propose de commencer la prise en charge pour ensuite lui passer le relais l'année suivante. Le but de ces rencontres est de transmettre à l'équipe un premier repérage de la symptomatologie d'Antoine, repérage qui se trouve être un des objectifs de l'équipe pour cette première année à l'IME avec ce garçon.

4. Éléments d'anamnèse
Éléments du dossier
Situation familiale
Antoine a 8 ans. Ses parents sont séparés[5] et Antoine vit chez sa mère. Le père a un droit de garde un week-end sur deux mais il ne l'exerce plus depuis décembre 2005. La mère est aide soignante et vit en concubinage avec un homme dont elle a une fille et qui est donc la demi-soeur d'Antoine ; cette dernière aura 3 ans en juillet 2007. Il est à préciser que le couple travaille, n'a pas de difficultés particulières, et que le beau-père est Disc-jockey et organise des soirées. La profession du père d'Antoine n'est pas indiquée dans le dossier.

Situation médicale
La mère fait de l'hypertension artérielle gravidique pendant la grossesse d'Antoine, hormis cette pathologie, les parents sont en bonne santé. En ce qui concerne les antécédents personnels d'Antoine, il est indiqué que l'accouchement s'est finalisé par une césarienne, trente-sept jours avant le terme de la grossesse. Antoine a néanmoins un poids normal de 3,020 kg. Un retard de développement est détecté dès 18 mois. Antoine est alors suivi en CMPP dans sa ville natale puis au CAMSP[6] à partir de 2003, année où il subit une adénoïdectomie[7]. L'appareil locomoteur et les fonctions viscérales sont normaux. Le développement psychomoteur ainsi que le langage sont caractérisés par un retard global. Bien que le langage s'améliore grâce à une prise en charge orthophonique, le dossier indique que la communication reste difficile.

À l'école
Les difficultés d'Antoine sont repérées dès la maternelle. Ce garçon fait une petite section, deux moyennes puis une grande section de maternelle, avant d'être orienté vers une CLIS[8]. L'équipe du CAMSP est certainement à l'origine de cette proposition d'orientation, les parents acceptant l'alternative, face à la difficulté de leur enfant à entrer dans les apprentissages scolaires. Antoine s'adapte difficilement à la CLIS, il fait quelques progrès mais la plupart des activités sont hors de portée et son autonomie est très limitée. Antoine a cependant un bon contact avec les autres et une grande capacité d'adaptation, il a envie de participer mais n'est pas entré dans les apprentissages scolaires. Antoine est un enfant motivé, qui a conscience de ses limites. Il prend la parole dans les grands groupes mais n'est pas toujours compréhensible. Antoine a le niveau d'un enfant de moyenne section de maternelle. Il ne sait pas lire, il a un graphisme correspondant à celui d'un enfant de deux ans, compte jusqu'à cinq, reconnaît et classe des formes simples et a une bonne mémoire.

Le WISC
Une évaluation psychologique est effectuée à l'aide d'un WISC III par le psychologue de la CLIS. Le but de cette évaluation est de préparer une orientation mieux adaptée car la CLIS ne semble pas convenir à Antoine. Le WISC met en avant des résultats homogènes très bas qui confirment les grandes difficultés que rencontre cet enfant. La déficience intellectuelle d'Antoine s'accompagne de troubles du comportement qui se majorent avec le temps (opposition, hétéro agressivité, anxiété). Ce jeune garçon entre à l'IME en septembre 2006 avec le diagnostic suivant : développement dysharmonique et troubles du comportement. La mère est favorable à cette orientation. Les objectifs de l'IME pour cette année avec Antoine sont de repérer ses troubles avec plus de précisions ; lui proposer des lieux pour qu'il dépose son anxiété et développe ses capacités relationnelles ; et favoriser sa progression au travers de séquences scolaires adaptées à son manque d'autonomie et à ses difficultés d'apprentissage.

Éléments en provenance de l'équipe pluridisciplinaire
Lors d'une rencontre avec les éducateurs, la mère dit dès le début de l'entretien que son fils n'est pas du tout entré dans les apprentissages. Celle-ci ajoute qu'Antoine a le même problème que son père, « il ne se prend pas en charge ». La mère dit aussi qu'en maternelle, Antoine parlait mais ne se faisait pas comprendre. L'équipe éducative n'a pas eu d'autres éléments concernant l'histoire d'Antoine. Lors de l'admission, la psychologue de l'établissement reçoit Antoine et sa famille. La mère vient seule avec son enfant et se trouve dans l'incapacité de raconter l'histoire de celui-ci, elle se tient à l'écart, très silencieuse. Les mêmes éléments que ceux décrits ci-dessus par les éducateurs apparaissent. La mère affirme qu'Antoine a toujours été très jaloux de sa petite soeur.

5. Description du cadre des rencontres avec Antoine
Le lieu
Les séances avec Antoine ont lieu dans le bureau de la psychologue. Pour accéder au bureau il faut monter un étage par un escalier. L'endroit est chaleureux, la charpente laisse apparaître quelques poutres et une étagère crée une demi séparation entre la table de travail de la psychologue et l'espace d'accueil de l'enfant et / ou de sa famille. Cet espace d'accueil, dans lequel se déroulent les séances, me semble être de part sa petite taille, contenant psychiquement[9].

Le matériel
Des contes, des histoires pour enfants, des feutres et des feuilles, des legos et divers jouets (camion-benne, planchettes en bois, marionnettes...) sont à la disposition de l'enfant. De plus, j'apporte, à partir de la cinquième séance, quatre pots de pâte à modeler de couleurs différentes. Le bureau contient aussi un grand lavabo, caché derrière un paravent[10] .

6. Problématique
Les éléments qui seront présentés dans le second chapitre m'amènent à orienter ma réflexion vers des théories psychanalytiques en lien avec les notions de faux self et d'abandon et font émerger les questionnements notés ci-dessous : La manière d'Antoine de se placer en objet n'ayant pas de désirs propres provient-elle du développement d'un faux self pathologique face à un environnement insuffisamment adapté à ses besoins primaires ? L'abandon du père vient-il réveiller chez Antoine un sentiment d'abandon plus précoce ? Ces hypothèses, élaborées de manière subjective à partir de ma rencontre avec Antoine aboutissent à la problématique suivante : les symptômes d'allure psychotique d'Antoine (l'accès au symbolique est difficile, son rapport à la réalité est précaire et il colle aux désirs de l'Autre) proviennent d'un ou de plusieurs traumatisme(s) abandonnique(s) ayant provoqué des blessures narcissiques inélaborables (parce qu'apparu(s) trop précocement) et la mise en place d'un faux self comme défense face à l'angoisse de déréliction.

Synthèse :
L'IME dans lequel j'effectue mon stage m'amène à rencontrer de nombreux enfants, d'une part dans les ateliers thérapeutiques auxquels je participe, d'autre part avec la mise en place d'entretiens individuels avec Antoine. La quantité de matériel clinique que m'apportent tout ces lieux me fait longuement hésiter quant au choix du sujet de ce travail de recherche. Cependant, l'effet d'étrangeté que nous ressentons au contact d’Antoine, m'amène à me poser de nombreuses questions à son sujet. En effet, Antoine m'est adressé par l'équipe car celui-ci pose des difficultés aux éducateurs qui ne le comprennent pas et ne savent donc pas comment l'aider. Certains professionnels se sentent même très angoissés en sa présence, notamment à cause de son inertie et le sentiment de vide psychique qu'il dégage. Le choix d'Antoine pour le présent travail de recherche se fait assez spontanément, après quelques séances avec lui et le désir de mieux comprendre cet enfant mystérieux, balayant ainsi les précédentes hésitations.


 DEUXIÈME PARTIE : CLINIQUE DU SUJET

1. Éléments du dossier
La CLIS
L'adaptation d'Antoine en CLIS est difficile, malgré quelques progrès. Le bilan de l'année scolaire d'Antoine relève que celui-ci a un bon contact avec les autres, une grande capacité d'adaptation et qu'il a envie de participer. C'est un enfant motivé mais qui a conscience de ses limites. Il prend la parole dans les grands groupes mais n'est pas toujours compris. Antoine a une autonomie très limitée et n'est pas entré dans les apprentissages scolaires.

Le WISC III
Un WISC III est passé en mars 2006 par le psychologue de la CLIS afin de préparer une nouvelle orientation. Les résultats du WISC sont faibles et homogènes et mettent en avant les grandes difficultés d'Antoine. Les sub-tests ont été réalisés en commençant par les items destinés aux enfants de quatre ans. Antoine paraît très angoissé par la situation d'examen, il semble perdu et pose les mêmes questions plusieurs fois. Antoine ne peut réaliser les épreuves « Cubes » et « Symboles » qu'en étant guidé par l'examinateur, faute de quoi il se perd dans les lignes. Antoine réussit les premiers items de « Cubes » puis le sub-test devient trop difficile lorsqu'il passe à quatre cubes. Les deux premiers items du sub-test « Matrices » sont un succès puis sont suivis de quatre échecs. Antoine répond correctement au premier item du sub-test « Raisonnement verbal ». Le sub-test « Vocabulaire » devient un vrai jeu pour Antoine qui tente de mimer les réponses en les accompagnant de bruitages. Antoine termine le test épuisé.

Un développement dysharmonique
Le développement psychomoteur d'Antoine est caractérisé par un retard global. Le langage et la communication s'améliorent grâce à une prise en charge orthophonique mais restent difficiles. Au retard global d'Antoine s'ajoute des troubles du comportements qui se majorent avec le temps : opposition, hétéro agressivité, anxiété. Le diagnostic d'Antoine posé avant son admission à l'IME est le suivant : développement dysharmonique et troubles du comportement. Aucune autre précision n'est donnée.

2. Éléments venant de l'équipe pluridisciplinaire
J'assiste, avant de rencontrer Antoine, à une réunion d'équipe dont le but est d'entendre la demande des éducateurs, les raisons pour lesquelles Antoine m'est adressé. Une réunion de synthèse sera ensuite l'occasion de reparler de cet enfant en équipe.

La scolarité
En classe, Antoine a des acquis, il connaît toutes les lettres de l'alphabet et a une bonne mémoire. Il s'absente souvent pour aller aux toilettes. En sport, Antoine est prudent, notamment lors des exercices qui font appel à l'équilibre.

Les ateliers thérapeutiques
En atelier conte, Antoine est « tranquille », il écoute et est très présent, il peut jouer un rôle et connaît bien le texte. Antoine aime les poésies, les histoires et les chansons et donne l'impression de boire les paroles de l'autre, « comme un vase sans fond » précise une éducatrice. En atelier modelage en terre, Antoine demande de l'aide pour fabriquer des animaux mais il joue avec sans attendre qu'ils soient secs et les casse donc régulièrement. Antoine joue parfois à la bagarre avec les animaux en terre qui finissent donc par casser aussi.

Le vide psychique
L'angoisse que provoquent les symptômes d'Antoine chez certains éducateurs ainsi que la notion de vide psychique sont très vite mises en avant lors de la première réunion. Les éducateurs parlent d'Antoine en ces termes « il est perdu, baragouine, maîtrise mal ses émotions et est difficile à mobiliser ». Il a été un moment très angoissé par le bruit mais plus maintenant et sa peur se fixe sur différents objets. Pour une des éducatrices de l'externat, Antoine « est angoissé mais aussi angoissant ». Les éducateurs disent de lui qu'il est dans le semblant, « il est loin », il entend sans le montrer, il observe les autres et il faut le ramener à la réalité très souvent. Antoine occupe l'espace « sans qu'on puisse y rentrer ». Parallèlement à ces impressions, la mère donne le sentiment aux éducateurs qui la reçoivent d'être vide psychiquement lorsqu'elle est face à son enfant.

L'entretien d'admission
Antoine arrive dans le bureau en fermant les yeux et refuse de serrer la main de la psychologue qui le reçoit avec sa mère. L'enfant se met tout de suite à parler mais de manière très confuse, avec un discours qui semble plaqué et sans laisser le temps à la psychologue de se présenter. La mère est incapable de raconter l'histoire de son enfant et se tient à l'écart face au discours très confus de celui-ci. Elle n'a rien à dire sur son fils mis à part qu'il ressemble à son père qui est « un bon à rien », et qu'Antoine « n'est pas entré dans les apprentissages ». La mère donne le sentiment d'être dépressive et semble fatiguée, elle parle de manière sèche, tient un discours succinct et très négatif à propos de son fils. Cette mère évoque le fait qu'Antoine n'est pas prêt pour venir à l'IME, qu'il n'est pas motivé. La psychologue précise qu'au moment de l'entretien, le désir de la mère pour son enfant n'y est pas, qu'elle ne semble pas capable de « penser son enfant ». Lorsque la psychologue demande à la mère si son fils est angoissé lors des moments de séparation comme quand Antoine va à l'école par exemple, la mère répond qu'Antoine n'a jamais pleuré pour ne pas aller à l'école. Lorsque la mère évoque le fait qu'Antoine est très jaloux de sa petite soeur, Antoine se met à construire une tour avec des cubes. À la maison, Antoine s'intéresserait surtout à l'extérieur, au chien et à la balançoire par exemple. Lors de cet entretien qui se déroule plus avec Antoine qu'avec la mère, La psychologue précise entre autres choses à Antoine qu'il devra être courageux lors de cette année à l'IME. À la fin de l'entretien, Antoine ne veut plus partir. Il finit tout de même par sortir, sert la main de la psychologue et déclare, comme s'il s'agissait de l'inquiétude de cette dernière : « t'inquiète pas, je serai là avec du courage ».

Une position objectale
Antoine donne l'impression d'être l'objet des autres. Ce positionnement fait craindre aux éducateurs qu'Antoine devienne le souffre douleur des autres enfants, sans s'en plaindre. Un des enfants de l'IME serait dans la manipulation avec Antoine et mettrait parfois celui-ci en danger, notamment lorsqu'ils jouent à s'étrangler par exemple. Quand Antoine parle, son discours semble confus, mais aussi plaqué, comme s'il répétait ce qu'il entendait sans investir personnellement le langage oral.

Inertie et jubilation
Lors des repas, Antoine mange très lentement, « grain de maïs par grain de maïs » par exemple. Les éducateurs disent de lui qu'il est « amorphe », qu'il attend, et que cette attitude leur donne envie de le « secouer pour le réveiller », voire « de lui mettre une baffe ». Antoine est un enfant très solitaire qui manque de confiance en lui et semble s'ennuyer. Il parle sans jamais faire ce qu'il dit, il répète les mots mais pas les gestes. Une éducatrice remarque néanmoins qu'Antoine est très vivant lors des activités peintures lorsqu'il y a de la musique en même temps, celui-ci se mettant même à danser en peignant. Cette éducatrice précise que dans sa famille, Antoine baigne dans la musique. Lorsqu'il est content Antoine s'emballe, jubile et fait des mouvements de mains ressemblant à des battements d'ailes. La mère dit qu'à la maison, « Antoine est serviable », « il est vif et comprend ce qu'on lui dit » et qu'il « faut que ça bouge » autour de lui.

3. Première rencontre avec Antoine
Après la première réunion, l'institutrice d'Antoine suggère de faire les présentations afin que je puisse lui proposer de me rencontrer après les vacances de Noël. Sur la demande de son institutrice Antoine s'approche de nous, timidement. Sa manière de marcher est plutôt maladroite, bancale, et donne l'impression qu'il manque d'équilibre. Il tangue de gauche à droite. Antoine a une taille et un poids qui me paraissent normaux pour un enfant de huit ans, il a les cheveux courts de couleur châtain clair. Un aspect corporel me frappe d'emblée, Antoine a la bouche entrouverte avec de grandes dents baveuses. Cette particularité physique me donne l'impression que ce jeune garçon a un escargot denté à la place de la bouche, qui l'empêche d'articuler les mots. Malgré son vocabulaire qui semble varié, Antoine n'est donc pas très compréhensible. Je me présente, lui explique être stagiaire psychologue, puis évoque la demande des éducateurs et leur sentiment qu'il aurait peut-être besoin d'un espace de parole individuel. Je termine en lui demandant s'il accepte de me rencontrer tous les lundis après midi. Après un long et étrange silence, lors duquel j'ai le sentiment qu'Antoine n'a pas compris ma question, celui-ci me répond « oui ».




4. Positionnement personnel
Lors des entretiens avec Antoine, j'observe[11] les productions de l'inconscient, c'est-à-dire la réalité psychique du sujet plutôt que sa réalité matérielle uniquement. « Lorsque les obstacles ordinaires, souci de décence, modes de pensée contraints par une « rationalité » trop étroite, n'empêchent pas le fonctionnement de la libre association, d'autres pensées se présentent, qui vont peu à peu se relier, prendre sens et donner idée des contenus inconscients qu'elles représentent [12]». Donnant ainsi toute son importance au fantasme dans l'approche clinique du sujet, un temps d'élaboration et d'analyse me semble alors primordial. Trois lieux différents me permettent ce travail de réflexion : l'institution, dans laquelle je participe aux réunions de synthèse et à des rencontres mensuelles avec mon tuteur de stage ;  l'université, à partir des séminaires de recherche et suivis de stage ; une supervision extérieure durant laquelle il m'est arrivé de parler de mes rencontres avec Antoine. Ces différents endroits où penser la clinique du sujet me permettent une prise de distance et l'analyse des relations transférentielles et contre transférentielles en jeu lors des entretiens. Je prends quelques notes pendant les séances puis les retranscrits de mémoire le jour même. Les éléments cliniques recueillis seront présentés plus bas de manière détaillée, afin de faire émerger la dynamique des séances et l'ambiance qui s'en dégage. Les observations sont basées sur les dix premières séances[13]. L'impression d'étrangeté ressentie au contact d'Antoine par les éducateurs se manifeste également lors de nos rencontres. Cependant, je comprends grâce aux rencontres avec cet enfant l'importance de ne pas pointer ses manifestations comme étant anormales ou folles. Je pense en effet que les échanges entre nous doivent absolument être du côté de la relation et tente donc de tourner à l'humour les moments pouvant provoquer en moi de la sidération. J'essaie ainsi de créer une dynamique basée sur la symétrie, l'égalité, car il me semble que c'est seulement ainsi que des changements peuvent émerger chez Antoine. RACAMIER résume parfaitement cette idée lorsqu'il note qu'il « ne s'agira pas d'interdire au patient d'être fou, il s'agira de lui laisser sentir la possibilité d'un choix ou d'une alternative[14]». La première séance synthétise en grande partie les éléments qui serons remis en jeux dans les séances suivantes et est donc retranscrite intégralement en annexe[15].

5. Les entretiens individuels
Avant les séances, Antoine est le plus souvent seul dans la cour à faire de la trottinette. Cependant, je remarque qu'il est de plus en plus fréquemment entouré de quelques enfants pendant les récréations.

Ordre et colère
Lorsque Antoine joue, il me demande très souvent de dire ou faire à sa place. Lorsque durant la première séance, je décide d'arrêter de jouer au loup ou refuse de lui donner mes chaussures par exemple, il insiste longuement ou s'énerve. Lors de la deuxième séance, Antoine joue à la maîtresse. Il me donne du travail à faire et me demande de l'appeler quand j'ai terminé. Je découpe la feuille comme il me l'a demandé et l'appelle par son prénom, l'enfant me dit alors « plus fort, appelle-moi plus fort ! » puis me redonne du travail. Pendant la troisième séance, Antoine s'allonge sur le fauteuil et annonce « je dors, tu dis chut ! » puis, après un silence, « tu dis : ben alors, elle ne répond pas la maîtresse ? ». Plus tard, le jeune garçon veut absolument que je mette mes pieds sur ses cuisses. Je refuse ; il insiste « allez, Florence ! »  et en voyant que je ne cède pas, il continue en disant « allez, Clémence ! [16]». Je lui demande pourquoi et avec qui fait-il cela. Antoine répond le faire avec sa mamie puis insiste encore. Lorsque je lui explique que nos corps nous appartiennent et que je ne souhaite pas poser mes pieds sur ses jambes, Antoine se lève et tape du poing sur le fauteuil en disant « écoute moi bien ! ». Lors de la quatrième séance, l'enfant prend une marionnette et veut que je joue avec en disant ce qu'il me dit de dire. Pendant la cinquième séance, il me demande « mets tes pieds dans mes genoux ! ». Je refuse, il insiste « allez ! Comme mamie ! ». En jouant avec le camion, le jeune garçon me demande ensuite de dire « stop ». Quelques temps après, je propose à Antoine de nous arrêter là pour aujourd'hui, il me répond « non ! » en bougeant énergiquement, de gauche à droite, le fauteuil qui se trouve face à lui. Durant la sixième séance, après avoir lu une histoire au garçon, celui-ci me demande « encore, encore ! », je lui propose qu'il l'a raconte lui-même, il insiste, « encore une fois seulement ! ». Je répète à Antoine qu'il peut me la raconter s'il le souhaite, il répond alors vigoureusement « d'accord, mais une seule fois alors ! ». Le jeune garçon commence la huitième rencontre en disant que sa dent bouge, il veut que sa dent tombe tout de suite et s'énerve lorsque je lui dis qu'il devra peut-être patienter encore un peu. La séance suivante, Antoine veut que je lise une deuxième histoire. Je lui propose d'en choisir une pour la prochaine fois. Il accepte puis insiste pour je la lise tout de suite en disant « allez ! Tu peux conter ! », « Oh ! T'es chiante, ... T'es plus ma copine ! ». Le garçon prend ensuite le camion, sort un des policiers qui se trouve dedans et me demande « tu fais : han ! » en prenant un air surpris, inquiet. Lorsque je dis « han », il ajoute « la police ! Tous les voleurs ils sont là, regarde ! ... Han ! han ! ... deux polices ! ... » puis me demande de dire « qui êtes vous ? ». Antoine fait tomber un des policiers, dit « la police il est mort » puis prend un autre policier et le fait se bagarrer avec le voleur. Le voleur tombe, mort. Les autres voleurs meurent aussi et le garçon dit alors « ça y est, y'a plus de voleurs ! ... Ah ! ça fait du bien ! ». Antoine prend ensuite la pâte à modeler et s'énerve car elle reste collée au pot « elle veut pas sortir ! ... Vas-y sort ! ».

Morcellement et instrumentalisation de mon corps
Lors de la première séance, Antoine me demande mon âge. Je lui réponds, lui demande le sien. Il me dit en avoir sept ou huit. L'enfant s'assoit ensuite par terre face à moi et demande l'âge de mes chaussures. Il insiste, veut que je les lui donne, me dit que l'une à trois ans, que l'autre a trois ans aussi. Antoine me regarde et me demande l'âge de mon nez, de mes cheveux, de mes sourcils, de mes yeux, de mon pantalon, d'une jambe puis de l'autre. Pendant la neuvième séance, Antoine s'assoit face à mes chaussures et me demande « quel âge tes chaussures ? ». Je lui réponds les avoir achetés il y a peut-être deux ans, il réplique « c'est bien ça ! ». Il me demande ensuite « et tes mains ? ... et ta jambe ? ... et l'autre pied ? ». Antoine me demande de croiser les pieds et me montre comment faire en prenant lui même appui sur ses mains et un pied pour finir avec une jambe croisée, le corps en suspension. Il croise l'autre jambe et veut que je fasse la même chose que lui. Le jeune garçon se rassoit par terre et essaye de faire tenir un pot de pâte à modeler en équilibre sur mon pied qui ne touche pas le sol. Il refuse ma proposition de le faire sur son propre pied. Quand le pot est stable, Antoine me demande de bouger le pied, le pot tombe, l'enfant recommence l'expérience et dit «  ah la la ! Quel boulot ! ». La semaine suivante, Il retente la même expérience en me demandant de croiser les jambes « mets tes pieds comme ça ». Antoine fait ensuite cette remarque « c'est marrant, tes chaussures ils bougent ! ».

Demandes d'étayages et implication de l'autre
Les demandes d'Antoine ressemblent parfois à des ordres mais se caractérisent surtout par le fait qu'il me prend en compte, m'implique constamment dans ses jeux ou ses pensées, notamment à travers l'utilisation du « on » lorsqu'il me parle. Lors de la première séance, celui-ci est assez timide et je suis obligé de lui donner la main pour qu'il se sente en confiance et accepte de me suivre. Le jeune garçon entre dans le bureau d'un pas hésitant et se trouve ensuite dans une phase d'exploration de ce nouveau lieu. Antoine me demande si « on va travailler, faire des exercices ? » puis veut savoir « qu'est-ce qu'on fait ? ». Il cherche mon approbation avant d'aller vers les jeux puis me demande de dire « stop » quand il joue avec le camion, de faire « hou » lorsqu'il veut jouer au loup, et de lui donner mes chaussures. Je propose à Antoine de faire un squiggle[17] lors de la seconde séance, celui-ci hésite et me tend le feutre « toi, commence ». Pendant tout le temps du dessin, il imite les formes que je fais. Après avoir dessiné, Antoine veut jouer à la maîtresse et me donne du travail à faire. La réserve de cet enfant s'efface de plus en plus et disparaît presque entièrement à partir de la troisième séance. Juste avant cette rencontre, celui-ci m'aperçoit dans la cour, bondit du banc où il est assis, me prend par la main et me demande si « on va aller jouer ? ». Lorsque je lui lis une histoire, Antoine ne regarde presque pas le livre, il regarde mon visage. Il m'interroge une nouvelle fois sur l'âge de mes chaussures puis me demande ensuite de mettre mes pieds sur ses jambes. Au début de la quatrième séance, il annonce « on peut parler ! » en s'installant sur une chaise de la table de travail. Antoine se met ensuite à péter et me demande « et toi ? ». Un moment passe, je lui demande si les éducateurs lui ont expliqué ce qu'il venait faire ici. Antoine me répond qu'il vient me voir pour jouer puis pose la question « qu'est-ce qu'on fait  maintenant ? ». Le jeune garçon veut connaître l'âge de mes chaussures puis me demande ce que je fais comme métier. J'explique être ici en tant que stagiaire psychologue et que nos rencontres peuvent lui servir à parler de ce qui parfois le rend triste ou le fait souffrir. Durant cet échange, celui-ci regarde un magazine qu'il tient dans ses mains et demande à la fin de mon explication : « répète parce que j'ai pas entendu ». Chaque fois que je tente de lui ré-expliquer ce qu'est un psychologue et le but des entretiens, Antoine me demande de répéter car il n'a pas entendu... Lors de la séance suivante, j'apporte de la pâte à modeler. L'enfant demande « on va faire quoi avec la pâte à modeler ? » puis annonce qu'il veut que je fasse un bonhomme car il ne sait pas le faire. Il me redemande l'âge de mes chaussures puis exige « mets tes pieds dans mes genoux ! ». En le raccompagnant, le jeune garçon dit ne plus vouloir venir car il n'aime pas parler. Je lui explique qu'il peut s'exprimer autrement qu'avec des mots, que je resterai à l'écoute. À la sixième rencontre, il me questionne « on va pas parler aujourd'hui ! hein ? » et après lui avoir lu une histoire, il demande « je vais jouer ? » puis précise « moi je fais des travaux ». Un peu plus tard, Antoine forme des boules avec de la pâte à modeler violette, me tend la première en disant « tiens c'est pour toi ». Il continue à en former, remarque que « c'est dur de faire les boules » et m'en tend une autre en ajoutant « c'est pour toi ça, c'est une petite boule ». Le jeune garçon prend ensuite une autre boule, et dit « encore une autre » en la lançant. La boule atterrit sur moi et roule sur mon ventre. Antoine prend le pot de pâte rouge, l'ouvre puis me demande « tu peux m'aider ? » lorsqu'il s'agit de refermer le pot. Durant la  septième séance, il me demande « t'as tes bottes ? », s'assoit face à elles et ajoute « les mêmes que l'autre fois ? [18]». Lorsque je lui fais remarquer qu'il semble aimer les chaussures, celui-ci répond « je préfère les bottes [19]». La séance suivante, Antoine entre dans le bureau et me dit d'emblée « je suis venu tout seul ! » et demande par la suite « on va faire quoi nous ? ». L'enfant trouve une marionnette (un loup), et me la tend pour que ce soit moi qui l'anime. Je lui propose d'en trouver une autre pour lui, il trouve une souris et me veut de l'aide pour la mettre sur sa main. Nous échangeons ensuite nos marionnettes puis je lui propose de prendre les deux. Il accepte, tout en m'incluant dans le jeu, tournant les marionnettes face à moi lorsqu'elles se parlent de loup à souris. Une semaine plus tard, Antoine est devant la porte du bureau avant moi. Il entre, s'installe et demande « je peux mettre les pieds dans la table ? » en malaxant de la pâte à modeler rouge. Le jeune garçon m'observe et me dit « tu peux prendre de la pâte à modeler, tu as le droit ! » puis « tu fais quoi toi ? ». Il enlève ses pieds de la table et veut que j'y mette les miens. Lorsque je réponds ne pas en avoir envie, celui-ci rétorque « moi je l'ai déjà fait donc c'est à toi maintenant ! ». Le garçon affirme ensuite, « c'est bizarre quand même avec toi ». Avant d'aller aux toilettes, Antoine me demande « tu surveilles le camion, d'accord ? ». Il revient, veut connaître l'âge de mes chaussures, de mes mains, de ma jambe et de mon pied, puis souhaite que je croise les pieds pour qu'il y fasse tenir en équilibre de la pâte à modeler. Pour finir, l'enfant veut retourner seul en classe. Lors de la dernière séance, celui-ci redemande l'âge de mes chaussures, et veut savoir si j'accepte qu'il mette ses pieds sur la table. Il se remet à faire ses expériences d'équilibre sur ma chaussure avec un pot de pâte à modeler, après m'avoir demander de croiser les pieds.

Comportements d'allure rigides et discours plaqué sur celui de l'adulte
Toutes les séances font émerger des comportements d'allures rigides. Les propos d'Antoine ont aussi très souvent un aspect normatif, conventionnel, repris sur un discours qui semble emprunté à celui des adultes qui énonceraient des règles de bonne conduite. Pendant la deuxième séance par exemple, Antoine me tend un feutre et me rappelle à l'ordre en disant « faut dire merci ». Le jeune garçon, faisant ensuite semblant d'être la maîtresse, me demande d'écrire le prénom d'une petite fille sur un morceau de papier. J'écris le prénom en question en plein milieu de la feuille sans lignes, il s'approche de moi et dit « Non ! Fallait écrire là ! », en me montrant le coin supérieur gauche de la feuille. Antoine prend ensuite un feutre noir et me regarde comme s'il s'attendait à une interdiction de ma part, puis repose le feutre en disant « ah non ! pas celui-là ». Lors du troisième entretien, l'enfant insiste pour que je pose mes pieds sur ses cuisses. Face à mon refus répété, il se lève et tape avec son poing sur le fauteuil en disant « écoute moi bien ! ». Antoine part ensuite aux toilettes, il revient, entre dans le bureau mais ressort en fermant la porte, pour pouvoir frapper avant d'entrer. À la fin de la quatrième séance, alors que je raccompagne le jeune garçon en classe, nous nous retrouvons derrière le directeur de l'établissement qui marche très doucement en parlant avec quelqu'un. Lorsque nous arrivons à son niveau, Antoine ralentit en disant qu'il ne « faut pas dépasser ». La séance suivante, le jeune garçon joue avec le camion benne et me demande « quel âge vos fils ? ». Je lui demande de quels fils parle t-il, il répond « à toi ? ». Je ne peux m'empêcher de lui demander pourquoi il me pose cette question. Antoine me répond « pour les mettre en prison » et tape en même temps sur la table avec son poing. Celui-ci veut ensuite que je dise « stop » au camion avec lequel il joue. Lorsque je lui propose de le dire lui-même, il s'énerve, et se remet à taper la table avec son poing en disant « toi ! ». J'insiste en lui disant qu'il est tout à fait apte à le dire lui-même, ce à quoi Antoine répond « n'importe quoi ! c'est pas moi qui dit stop ! c'est toi ! ... C'est à cause de toi ! ». L'enfant continue d'insister puis veut aller aux toilettes. Il se dirige vers la porte, s'arrête, silencieux, dans l'attente de quelque chose. Je lui dis « à tout de suite », il me regarde, laisse passer un silence et répond « non, à tout à l'heure ! ». Lors de la sixième séance, Antoine insiste pour que je lui raconte une deuxième fois la même histoire. « Encore une fois seulement ! ». Lorsque je lui propose de me la raconter, celui-ci répond en prenant un ton autoritaire, de la manière dont il aurait certainement souhaité que je réponde à sa demande initiale « d'accord. Mais une seule fois alors ! ». Plus tard, le jeune garçon se lève, pète, dit « j'ai pété » et me regarde silencieusement, comme s'il attendait que je le gronde. En partant, Antoine se retourne et dit « oh mon manteau ! » car il allait partir sans. Il me demande « il fait froid dehors ? ... Je veux pas tomber malade ». Il met son manteau, se dirige vers la porte puis me signale qu'il veut aller éteindre la lumière avant de partir, ce qu'il fait. Au début de la huitième séance, le jeune garçon s'inquiète de sa dent qui bouge mais qui ne tombe toujours pas et m'explique, « elle va tomber parce que j'ai mangé trop de bonbons ». En partant, il me rappelle d'aller éteindre ma lampe. Lors de la séance suivante, Antoine me parle de la pâte à modeler et dit « zut ! je l'ai oubliée [20]». Je lui donne les quatre pots apportés, il joue avec et me dit « tu peux prendre de la pâte à modeler, tu as le droit ». Lors de la dixième séance, le jeune garçon me demande l'âge de mes chaussures. Je lui réponds qu'elles ont peut-être deux ans. Celui-ci réplique ensuite « trois euros les chaussures. Plus, c'est cher ! ... Trois euros ... C'est pas très facile en ce moment ... Chaussures c'est très très très cher ». Antoine se rassoit et demande s'il peut mettre les pieds sur la table. Avant de partir, Antoine fait un petit pet et me demande « tu fais : oh ! ». Je dis « oh ! », en prenant un air faussement choqué, celui-ci répond « j'ai pété ». Il fait ensuite un autre pet, plus fort, et me redemande de dire la même exclamation.

Déception et réparation
Antoine exprime parfois de la déception. Lors de la première séance, il s'assoit sur une chaise de la table de travail, me demande si celle-ci a des roulettes et semble déçu de la réponse. Lorsqu'il explore ensuite la pièce, le jeune garçon demande si derrière le paravent « c'est une petite maison ? », et paraît encore très déçu de n'y trouver qu'un lavabo. Il décide d'aller jouer, repère une boîte de planchette en bois et dit vouloir construire une maison en remarquant que le petit garçon sur la boîte a construit un château et qu'il aimerait faire pareil. L'enfant essaie ensuite de se procurer un conducteur pour le camion-benne mais ne trouve que des « policiers » et un « infirmier », avant de dénicher un bonhomme au gilet fluorescent, apte à l'emploi qu'il veut en faire. Il installe le bonhomme devant le volant mais celui-ci est trop grand. Après plusieurs échecs, Antoine indique « c'est bien quand même comme ça, ... C'est pas grave ». Le jeune garçon fait avancer le camion puis déclare que celui-ci est en panne et qu'il n'aime pas ça, qu'il veut que la voiture roule. Il trouve cependant une minuscule caisse à outils avec laquelle il entreprend de réparer le véhicule, puis annonce avoir réussi. Plus tard, l'enfant insiste longuement pour que je lui donne mes chaussures, me propose même de les échanger avec les siennes. Au début de la deuxième rencontre[21], Antoine va directement vers une chaise, regrette qu'elle soit dénuée de roulettes et me dit aimer tourner.  Il joue ensuite à la maîtresse et me donne du travail à faire. Après avoir joué avec lui un moment, celui-ci dit vouloir me donner encore du travail. Lorsque je lui réponds qu'il est temps que ce soit lui qui aille travailler en classe, le jeune garçon semble déçu. Pendant les troisième, quatrième et septième rencontres, Antoine réexprime sa déception face à l'absence de roulettes. À la fin de cette septième séance, j'annonce à l'enfant que nous allons nous arrêter bientôt car il part en balade avec sa classe, il me répond « balade », « où ? », lorsque je lui dit que je ne sais pas où, celui-ci fait « pff ! ». Au cours de la neuvième séance, le jeune garçon insiste pour que je lui relise une histoire, j'insiste pour qu'il me la raconte lui-même, il s'exclame alors « oh t'es chiante ! t'es plus ma copine ! ».

Des moments atypiques
Lors de la première séance, Antoine me demande de dire stop au camion qu'il fait avancer. Je dis « stop » celui-ci me demande alors « pourquoi ? ». Je lui demande de me dire pourquoi, il me répond « parce qu'il y a un feu rouge ». Au cours de la deuxième séance, après lui avoir lu une histoire, le jeune garçon me demande si c'est mal de manger une poule ?, si le renard est vraiment méchant ?, parce que lui ne croit pas qu'il soit méchant. Je réponds à l'enfant que le renard a besoin de se nourrir mais que la poule n'est pas contente de se faire manger... J'amène la pâte à modeler à la cinquième séance, il prend la pâte de couleur blanche et affirme « ben celle-là elle est un peu pot de yaourt hein ! ». Lors de la sixième rencontre, Antoine monte l'escalier, me devance de quelques marches, et demande « c'est toi ? » en se tournant vers moi. En milieu de séance, il y a du bruit dans le couloir. Le jeune garçon veut aller aux toilettes, frappe à la porte pour sortir du bureau, aperçoit une dame assise par terre qui trie des papiers et parle un peu avec elle. La dame vient me voir pour me demander une agrafeuse pendant qu'Antoine est en bas. Celui-ci revient, entre sans frapper et annonce « j'ai vu la dame, elle fait n'importe quoi ! ». Il me demande ensuite si j'entends le bruit de l'agrafeuse puis je crois entendre « cette connasse elle veut en faire quelque chose ». Pendant la huitième séance, le jeune garçon parle de sa dent qui bouge et après avoir dit « ça bouge, ça bouge, ça bouge ... » il se met à parler mais sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Je lui demande ce qu'il dit, Antoine répond « je fais semblant de perdre ma langue, euh... ma dent ».

Toilettes
Antoine va au moins une fois aux toilettes à chaque séances. Très souvent, ceci se passe après un refus de ma part de répondre à une de ses demandes[22]. Le jeune garçon va parfois aux toilettes en début de séance, sans qu'un déclencheur puisse être repéré. D'autre fois, l'enfant revient des toilettes en me demandant si « on y va ? » ou si « on va arrêter là ? », après trente ou quarante minutes d'entretien. Au début de la dixième séance, Antoine s'installe puis me dit « attends, je vais faire pipi » et remarque juste après « oh la la ! C'est tous les jours je fais pipi hein ! ».

Jubilation
Des moments jubilatoires apparaissent parfois juste avant et pendant les entretiens. Ainsi, Lorsque je croise Antoine le lendemain de la première séance, celui-ci court vers moi bras ouverts, joyeux, en criant « Laurence ». La semaine suivante, le jeune garçon, souriant, me saute dessus en criant « Laurence, Laurence », et me prend la main pour aller dans le bureau. Celui-ci bondit de son banc avant la troisième rencontre, s'approche de moi, me prend la main et affirme « on va aller jouer ! » avec une expression radieuse sur le visage. Au début de la cinquième séance, je dépose sur la table quatre pots de pâte à modeler de couleurs différentes. Antoine s'écrie « ah ! chouette ! ... Y'en a d'autres ? ... Petite surprise hein ! ». Plus tard, il trouve un camion-benne et s'exclame « Waow ! ». En allant rappeler à cet enfant de venir dans quelques minutes pour la septième séance, celui-ci se lève vivement et dit « ouais ! super ! ». Il sort de l'externat et se met à courir et à sauter. Antoine est joyeux, énergique et de très bonne humeur ; il monte l'escalier d'un pas décidé, bruyant, en se tenant à peine au mur. Il m'explique un peu plus tard « je sais écrire maintenant ! ». Je lui propose une feuille et un feutre, il accepte, déclare « c'est parti ! » et écrit en dessinant plein de petits ronds qui se suivent. En me voyant le lundi suivant avant l'heure de la séance, Antoine s'écrie « ouais ! ». En sortant du bureau, à la fin de l'entretien, le jeune garçon me demande « tu viens ? ... Go ! ». Dehors, l'enfant se met à sautiller et souhaite que je fasse pareil. La semaine suivante, Antoine est devant la porte du bureau avant moi, il me voit arriver, crie joyeusement, ouvre la porte et entre en sautant. Lorsque je sors la pâte à modeler que j'avais oublié d'apporter la semaine précédente, il saute de sa chaise et, ravi, il s'exclame « ouais ! ».

Synthèse :

L'équipe éducative de l'externat est en difficulté face aux manifestations symptomatiques d'Antoine. Celui-ci leur renvoie une forme de vide psychique angoissant, une inertie qui empêche parfois toute entrée en relation avec lui. Le travail des éducateurs est alors mis à mal puisque le jeune garçon s'isole et doit être constamment ramené à la réalité. Les éléments du dossier concernant l'histoire d'Antoine sont assez pauvres, le diagnostic est très imprécis. De plus, le contexte évaluatif actuel[23] oblige à être prudent, notamment lorsque que nous abordons les notions de troubles du comportement. Lors des séances avec ce jeune garçon des impressions étranges émergent de son discours, de ses actes et de son mode de relation à l'autre. Antoine a une logique personnelle, intime, qui reste très souvent une énigme. Cependant, l'investissement d'Antoine pour les séances et la richesse de ses interventions m'indiquent que ce jeune garçon est psychiquement au travail, notamment dans une relation duelle. Je tenterai donc, dans la partie suivante, d'apporter quelques éléments théoriques permettant une ébauche de compréhension de sa psychopathologie et des origines possibles de celle-ci.



TROISIÈME PARTIE : CLINIQUE DU SUJET ARTICULÉE À LA THÉORIE

1. Contraste entre la situation groupale et la situation duelle
Lors des entretiens individuels, Antoine est particulièrement vivant et se trouve dans une demande d'être animé par l'autre qui contraste fortement avec l'impression de vide et d'inertie que les éducateurs ressentent à son contact. À l'externat, Antoine serait très solitaire, passif, perdu, peu vivant. Ce discours de l'équipe éducative donne lieu à la mise en place d'une prise en charge individuelle, afin de permettre à l'équipe de mieux comprendre comment aider cet enfant. Les séances me sont confiées et débutent avec pour mise en condition une remarque faite par une éducatrice, à la fin de la première réunion, annonçant que pour une stagiaire, « c'est pas un cadeau » de recevoir Antoine. Il s'avère en fait que les séances avec ce jeune garçon sont très souvent animées et pleines de vie ! Celui-ci remplit les séances de ses manifestations, de ses jeux et de ses demandes. Il s'anime, demande que je l'anime, de la même manière que le nourrisson vient redonner vie à une mère dépressive, par ses stimulations. Il me semble qu'Antoine rejoue justement dans le transfert, sa relation à l'objet primaire. Les tentatives de liaisons d'Antoine mettent en évidence un désir de conservation lié à la pulsion de vie. Cet élan vital provoque un état de dépendance dans le transfert, qui semble nécessaire à son dépassement. Ce jeune garçon s'autorise une régression importante indiquant qu'il est psychiquement au travail lors de nos rencontres et celle-ci vient alors signifier son besoin d'éprouver le sentiment d'omnipotence. Antoine manifeste une pulsion de vie qu'il est incapable de faire émerger avec les éducateurs car il doit d'abord éprouver l'omnipotence à laquelle il a dû précocement se soumettre pour pouvoir accéder au symbolique, à l'altérité, et, de ce fait, adhérer au travail éducatif. La notion de faux self sera développée plus bas et peut aider l'équipe éducative dans son travail avec Antoine, car selon WINNICOTT, « Dans le travail social (...), là où toutes sortes de cas doivent être acceptés et suivis en traitement, ce diagnostic  ― qui dans ce travail reste à l'état d'hypothèse ― de « fausse personnalité » est important pour éviter la frustration extrême associée à l'échec thérapeutique, en dépit d'un travail social apparemment correct [24]».

2. De la soumission au faux self
Une défense psychique de l'ordre du faux self émerge des séances. Le discours d'Antoine est plaqué sur celui des adultes et son désir d'être sans arrêt animé par l'autre, de projeter le bon objet pour ensuite le réincorporer, en sont les principales manifestations.

Rappel théorique sur la notion de faux self 
                                                                                                                                     
La notion de faux self est élaborée par D. W. WINNICOTT, elle se distingue du vrai self et permet de comprendre les causes, l'origine d'un rapport au monde et à l'autre, particulier. Dans sa forme saine et normale, « l'équivalent du faux self est ce quelque chose qui peut se transformer chez l'enfant en conduite sociale, ce quelque chose qui est susceptible d'adaptation. [25]». WINNICOTT note aussi que « Dans l'état de santé : le faux self est représenté par toute l'organisation que constitue une attitude sociale polie, de bonnes manières et une certaine réserve. [26]». Pour pouvoir accéder à la vie sociale, l'enfant doit être capable de renoncer à l'omnipotence. Cependant, certains enfants ont une propension à dissimuler leur vrai self lorsque leurs besoins primaires n'ont pas été satisfaits. Dans ce cas, « la mère qui n'est pas suffisamment bonne n'est pas capable de rendre effective l'omnipotence du nourrisson et elle ne cesse donc de faire défaut au nourrisson au lieu de répondre à son geste. À la place, elle y substitut le sien propre, qui n'aura de sens que par la soumission du nourrisson. Cette soumission de sa part est le tout premier stade du faux self et elle relève de l'inaptitude de la mère à ressentir les besoins du nourrisson. [27]».

Appropriation du discours de l'adulte
Les observations cliniques recueillies en séance et présentées dans la partie précédente mettent en avant le rapport de cet enfant au langage verbal très particulier. Lorsque Antoine parle, il semble très souvent ne pas habiter le langage oral. Son discours paraît repris sur les propos des adultes. Lorsqu'il frappe la table avec son poing en disant « écoute-moi bien ! » par exemple ou lorsqu'il m'explique que sa dent va tomber parce qu'il a mangé trop de bonbons. Son langage évoque alors la soumission mise en avant par WINNICOTT lorsque l'enfant est face à une mère pas suffisamment bonne, au sens où elle est incapable de répondre de manière adaptée au besoin d'omnipotence de son enfant. L'enfant se soumet aux exigences de l'environnement, il ne lui est pas possible de « jouir de l'illusion de la création et du contrôle omnipotents [28]», ce qui entraîne une altération de la capacité d'utiliser les symboles. Le jeu, l'imagination puis le langage se trouvent donc difficilement accessibles puisqu'ils font justement appel à la capacité de symbolisation. Le dessin par exemple, est une activité qui est soit refusée par Antoine, soit acceptée mais à la condition que les traces soient de l'ordre de la copie. Lorsque je propose à celui-ci de dessiner  avec moi, lors de la deuxième séance, il ne cesse d'imiter les formes que je viens de faire, refusant toute initiative. WINNICOTT indique que le faux self permet de dissimuler le vrai self et que « la soumission est alors la caractéristique principale et l'imitation une spécialité. [29]». Antoine imite le discours de l'adulte et me l'impose parfois de manière surmoïque, sans que celui-ci soit vraiment intégré psychiquement en tant que symbole.

Difficile accès au symbolique
En séances, Antoine est collant. Physiquement et psychiquement collant. Selon M. BERGER, « moins un enfant a une mère capable de contenir ses émotions, plus il se tient collé à elle. [30]». Lorsque je lui lis un conte par exemple, il se place tout près de moi, met son bras à plat sur le fauteuil où je suis assise et le plaque contre ma cuisse. Régulièrement, ce jeune garçon s'assoit par terre devant mes chaussures et après m'avoir demandé leur âge, il se met à caresser l'une d'elle passionnément, de manière très érotisée. L'enfant veut ensuite que je lui donne mes chaussures, évitant ainsi toute différenciation possible entre nous, notamment en ce qui concerne la différence sexuée et de génération. Lors d'une des dernières séances, Antoine fabrique un bonhomme en pâte à modeler et réplique « tiens, je te l'offre ... Tu peux l'emmener chez toi. Si tu veux, moi je veux bien... Tu dis à ta maman Antoine G. m'a fait un bonhomme ». Ce jeune garçon ne semble pas avoir accès aux différences symboliques et me prend pour une enfant, voire pour un enfant qui habiterai encore avec sa « maman ». L'image du corps me semble elle aussi précaire, dans le sens où Antoine morcelle très souvent le mien, donnant l'impression qu'il ne s'en fait pas une image unifiée. Antoine me demande très souvent l'âge de mes chaussures et utilise parfois le mot « pied » pour parler de l'une d'elles. Lors de la première séance, Antoine me demande l'âge de mes chaussures. Ce jeune garçon me demande ensuite l'âge de mon nez, de mes cheveux, de mes sourcils, de mes yeux, de mon pantalon, d'une jambe et de l'autre jambe. Il reposera le même type de questions au cours d'entretiens ultérieurs. Antoine a un jour une dent qui bouge, il se met à parler sans produire de sons. Lorsque je lui demande ce qu'il dit, celui-ci répond « je fais semblant de perdre ma langue, euh ..., ma dent ». Selon D. ANZIEU, à la carence de la « fonction d'intersensorialité du Moi-peau qui aboutit à la constitution d'un « sens commun » (...) répondent l'angoisse  de morcellement du corps, plus précisemment celle du démantellement, c'est-à-dire d'un fonctionnement indépendant, anarchique, des divers organes des sens[31] ».

3. Identification projective
Antoine me demande sans cesse de faire à sa place. Ses demandes d'allures rigides, se caractérisent par des ordres et celui-ci se met en colère lorsque je ne réponds pas à sa demande de manière précise. Ce désir de maîtriser l'autre de manière toute puissante, me semble mettre en avant son besoin d'expérimenter le sentiment d'omnipotence à travers le transfert, mais aussi de répéter un processus se rapprochant de l'identification projective face à l'instance surmoïque parentale. M. KLEIN montre ainsi que « Des « buts » (...) peuvent être assignés à l'identification projective : contrôler l'objet, le vider, se débarrasser de parties de soi-même intolérables... [32]».

Analité
Antoine introjecte le surmoi parental et le projette en séance dans le transfert ainsi que par ses fréquentes échappées aux toilettes. Y. GAMPEL indique que l' « incorporation est un processus oral cannibalique et d'autre part anal-expulsif  [33]». Les selles et l'urine ont une place importante en séance et permettent notamment à cet enfant de projeter ses pulsions de manière clivée, sur un objet externe. Selon F. GASPARI-CARRIÈRE, il s'agirait d'une « identification de surface à l'objet bienveillant et protecteur, qui n'est pas introjecté sur le mode oral, mais sur lequel il exercerait plutôt une sorte de maîtrise anale[34] ». L'exemple suivant me semble illustrer ces propos. Antoine me dit avoir « envie de faire caca », il se lève, pète, attend que je le gronde puis va aux toilettes. En revenant, l'enfant prend la pâte à modeler violette et formes plusieurs petite boules avec. Ce jeune garçon me fait ensuite cadeau de ses « boules », précisant que « c'est dur de faire les boules ». Il finit par me les lancer, projetant ainsi fantasmatiquement le mauvais objet (ses selles) sur un objet extérieur à lui. Par ailleurs, S. FREUD, note à propos du contenu intestinal que « de « cadeau », il prendra plus tard la signification de « l'enfant », qui, selon une des théories sexuelles infantiles, s'acquiert en mangeant et naît par l'intestin [35]».

Rivalité fraternelle
Cette idée de FREUD, faisant le parallèle entre les selles et la manière dont naissent les enfants, m'amène à considérer qu'Antoine rejoue dans le transfert son désir d'exclusivité à l'égard de la figure maternelle. Ce jeune garçon a une demi-sœur dont il serait très jaloux. Symbolisée fantasmatiquement par ses propres selles, celui-ci tenterait de détruire cette sœur en projetant ce mauvais objet hors de lui lors des séances. Lorsque cet enfant demande l'âge de mes chaussures ou de mes pieds[36], il répond régulièrement lui-même à la question en utilisant le chiffre trois. Celui-ci évoquera aussi le nombre trois en annonçant « trois euros les chaussures. Plus, c'est cher ! ... trois euros ! ... Chaussures c'est très très très cher. ». Les selles, l'argent, les enfants. Ces trois éléments me semble évoquer inconsciemment un même signifiant : sa sœur. Trois ans, s'avère en effet être l'âge que la petite sœur aura très bientôt. De plus, ce jeune garçon évoque parfois la notion de vol. Il parle par exemple de voleurs que la police a réussi à arrêter et annonce : « ça y est, y'a plus de voleurs ! ... ah ! ça fait du bien ! ». Lors d'une séance suivante, Antoine me demande l'âge de mes fils. Lorsque je lui demande pourquoi il me pose cette question, celui-ci tape du poing sur la table en répondant « pour les mettre en prison ! ». Ce jeune garçon m'identifie à une mère et souhaite mettre mes enfants en prison afin d'anéantir tout désir possible de ma part vers un autre enfant que lui. Les voleurs d'amour doivent être tués ou mis en prison ! Cet enfant est en demande d'exclusivité maternelle et fait émerger dans le transfert la pulsion de mort qui l'anime... R. JAITIN note que « la naissance du frère réveille simultanément le fantasme de vie et le fantasme de mort. C'est ainsi que le lien fraternel serait le premier scénario d'interrogation sur les énigmes de vie et de mort. Le fantasme de mort qui s'actualise à la naissance du frère correspondrait à sa destruction imaginaire comme dédoublement narcissique [37] ». À travers ses demandes d'exclusivité, Antoine met en place un processus d'incorporation, d'introjection du bon objet, notamment à travers son appropriation du désir de l'autre.

4. Relation d'objet par étayage

Incorporation de l'autre
Antoine est sans cesse en demande d'être animé. En séance, ce phénomène se manifeste par le fait que cet enfant me donne des ordres. Il renvoie les questions que je lui pose comme s'il ne s'autorisait pas à y répondre personnellement et me donne des ordres en refusant de faire lui-même ce qu'il désire que je fasse. Ces comportements ont souvent une allure rigide et l'enfant se met en colère lorsque je ne répond pas exactement à ses exigences, exprimant par exemple « oh ! t'es chiante, t'es plus ma copine ! ». Antoine est  régulièrement dans une demande d'être animé et cherche alors à s'approprier le désir de l'autre. Cette attitude donne l'impression d'un désir de ne faire plus qu'un avec l'autre, d'annihiler toute différenciation symbolique entre lui et moi, faisant penser à l'état fusionnel du bébé avec sa mère. Pour Y. GAMPEL, « l'incorporation de l'objet crée ou renforce un lien imaginaire [38]» notamment lorsqu'il y a eu perte d'objet (cet enfant ne voit plus son père biologique depuis décembre 2005) ou perte d'amour (avec l'arrivée d'un rival fraternel par exemple). Antoine me demande un jour « mets tes pieds dans mes genoux ! », et emploie alors « dans » au lieu de « sur », manifestant ainsi son manque de distance corporelle avec moi et son désir d'incorporation orale (en tant que demande orale d'introjection corporelle). D. ANZIEU indique que « dans les états limites, (...) les deux faces du Moi-peau n'en font qu'une, mais cette face unique est tordue à la manière de l'anneau décrit par le mathématicien Moebius et auquel Lacan a le premier comparé le Moi : d'où des troubles de la distinction entre ce qui vient du dedans et ce qui vient du dehors[39] ».

Appropriation du désir de l'autre
« L'analyste est parfois pris d'un sentiment d'étrangeté en rapport avec le rôle qu'il est amené à jouer dans les fantasmes de ses patients[40]». En séances, Antoine peut effectivement sembler étrange, notamment lorsqu'il manifeste des demandes d'étayages importantes. Ce jeune garçon cherche à être rempli par l'autre, et met ainsi en avant son désir d'être contenu. Pour WINNICOTT, la fonction contenante est exercée par le handling maternel et se caractérise par la manière dont la mère manipule et soigne son enfant. Cet auteur note que « l'instauration de la relation d'objet est complexe. Elle ne peut s'établir que si l'environnement offre les objets de telle façon que le petit enfant crée l'objet [41]», vivant ainsi un sentiment d'omnipotence structurant. Antoine manifeste lors des entretiens son besoin d'être animé par un moi auxiliaire[42] et met ainsi en avant sa dépendance à l'autre, son besoin d'étayage psychique. Selon Y. GAMPEL, « le sujet en état de voracité tâche de s'approprier tout ce que l'objet possède sans pouvoir en profiter, ce qui crée une sensation de vide[43]». Antoine se place en position d'objet vorace, jamais rassasié, dont les demandes impliquent le désir de l'autre de manière récurrente. Ce besoin de trouver un contenant nourrissant, un nid où se blottir, peut être mis en parallèle avec son besoin de vérifier sa toute puissance sur l'objet primaire, sans que cela amène à son anéantissement.

Maîtrise de l'objet
Un besoin de maîtrise de l'objet émerge des séances. Antoine tente de surmonter la perte, le manque, en reproduisant fantasmatiquement la disparition et la réapparition de l'objet. Ce phénomène peut être mis en lien avec le jeu du fort da repéré par S. FREUD. Lorsque Antoine pose un pot de pâte à modeler sur mon pied chaussé par exemple, il teste sa stabilité. Quand le pot tient en équilibre, Antoine me demande de bouger le pied, ce qui fait tomber l'objet. En provoquant lui-même la chute du pot, Antoine met en acte son omnipotence, il décide du moment de la séparation entre les deux éléments (le pot et ma chaussure), ce qui lui permet de maîtriser son angoisse archaïque de perte d'objet.

De la déception d'Antoine à la déception maternelle
Régulièrement, Antoine semble déçu. La chaise qui est dépourvue de roulettes, la maison qui aurait pu se cacher derrière le paravent, sa difficulté à trouver un conducteur pour le camion-benne, la panne du camion, sa déception face à mon refus de mettre mes pieds « dans » ses « genoux », de lui donner mes chaussures ou de lui relire une histoire deux fois de suite, sont autant d'exemples qui indiquent des frustrations liées à l'absence, à la perte, au manque. Dans l'histoire d'Antoine, plusieurs éléments peuvent être mis en lien avec cette déception, notamment en ce qui concerne un possible sentiment d'abandon. En effet, la naissance de sa demie-soeur, la séparation précoce de ses parents, l'absence du père depuis presque deux ans, le discours dévalorisant de la mère (Antoine « tient de son père, c'est un bon à rien ») et le sentiment de vide psychique qui émerge d'elle lorsqu'elle se trouve face à son enfant, montrent qu'Antoine est confronté très tôt à la perte. Antoine est d'autant plus en présence de ce vide, de cette perte d'amour, qu'il n'est certainement pas l'enfant idéal que la mère désirait initialement. Pour cette mère, son enfant handicapé est « un bon à rien » qui ne sera jamais capable de se prendre en charge.

Réparation et pulsion de vie
Les tentatives de réparation (Antoine répare le camion, accepte de lire lui-même les histoires après m'avoir demandé de la lui relire « encore une fois », ou annonce que même si le conducteur du camion n'est pas en face du volant « c'est bien quand même comme ça ... C'est pas grave »), indique que finalement, cet enfant tente de privilégier la pulsion de vie à la pulsion de mort. Son désir de réparer l'objet après y avoir projeté ses fantasmes destructeurs et sa joie contagieuse lorsqu'il s'agit de venir en séance, m'amène à penser que cet enfant tente de redonner vie, à travers le transfert, à une figure maternelle absente psychiquement, incapable de « penser son enfant[44] ». Le sentiment de vide ressenti au contact d'Antoine serait en fait celui de la mère[45] vide, que cet enfant aurait introjecté par identification à elle et qu'il tenterait de combler lors des séances.

5. De la déréliction à la structure de personnalité
Il me semble tout d'abord nécessaire, avant d'évoquer la notion de structure de personnalité, d'indiquer que la structure est avant tout un rapport singulier du sujet au monde. Le sujet entretient un rapport à la réalité qui lui est propre, unique. De plus, ce qui peut sembler cristallisé chez l'adulte, ne l'est pas chez l'enfant, pour qui la notion de structure n'est ni stable ni définitive. Il s'agira donc dans cette dernière partie, de proposer un élément de réponse diagnostic de l'ordre de l'hypothèse.
L'observation clinique recueillie lors des séances avec Antoine fait apparaître des éléments pouvant être mis en lien avec la notion de déréliction. Ce concept[46] est parfois traduit par « état de détresse », et indique « l'état de dépendance du nourrisson qui conditionne, selon FREUD, l'omnipotence de la mère, et la valeur particulière de l'expérience originaire de satisfaction (...). L'état de détresse fournit le prototype de ce qu'est une situation traumatique, dans laquelle le sujet est incapable de maîtriser les excitations[47] ». La totale dépendance du nourrisson peut entraîner le sentiment d'être abandonné de tous, notamment lorsque la figure maternelle ne répond pas aux besoins primaires de son enfant. « L'état de détresse (...) influence ainsi de façon décisive la structuration du psychisme, voué à se constituer entièrement dans la relation avec autrui[48] ». La déréliction engendre un manque de différenciation entre le moi et le ça, « (...) l'importance des dangers du monde extérieur est majorée et l'objet, seul capable de protéger contre ces dangers (...) voit sa valeur énormément accrue », créant ainsi « le besoin d'être aimé, qui n'abandonnera plus jamais l'homme[49] ». Les difficultés d'Antoine, son rapport spécifique au monde, à l'autre et à la réalité peuvent ainsi être mis en lien avec ce sentiment précoce de dépendance à l'objet. Antoine ne peut se dégager de l'omnipotence de la figure maternelle par peur d'être abandonné. Cependant, de la même manière que la crainte de l'effondrement est en fait un effondrement qui a déjà eu lieu, il est possible que la crainte de l'abandon soit en fait liée à un abandon qui s'est déjà produit lui aussi, à travers l'angoisse de déréliction. Les symptômes d'allure psychotique d'Antoine pourraient en effet, provenir de cette angoisse précoce de déréliction, rendant alors difficile l'accès au symbolique, à l'altérité et à l'autonomie. D. ANZIEU, montre que « La différenciation est (...) entravée dans la psychose par les actions de nivellement et d'aplatissement qui régissent les rapports entre réalité et fantasmes, intérieur et extérieur, sujet et objet, dans un télescopage qui nie l'épaisseur, le relief et la tierce dimension[50] ». A l'image de la pulsion de vie qui se dégage de cet enfant en relation duelle, celui-ci semble se structurer psychiquement vers un rapport au monde caractérisé soit par le manque de limite qu'évoque son désir de fusion, soit vers une psychose en tant que difficulté à accéder à l'altérité, ancré qu'est cet enfant dans un processus binaire qu'il n'a pas encore pu dépasser.

Synthèse :
La différence perçue entre les moments groupaux, (lors desquels Antoine se replie sur lui-même et manifeste certains traits autistiques), et les entretiens individuels, (lors desquels Antoine cherche constamment à animer l'autre de manière projective), amène l'idée selon laquelle cet enfant utilise une défense psychique de l'ordre du faux self. La difficulté d'Antoine d'accèder à la symbolisation serait liée à une impossible séparation d'avec la figure maternelle, par peur d'être abandonné. Cependant, cet abandon a certainement déjà eu lieu et il est probable que celui-ci ait eu un effet traumatique sur le moi précoce d'Antoine. Face à Antoine, la mère semble vide, manquant de désir pour cet enfant qui s'avère être handicapé. Le père s'en va pour ne plus revenir et un autre enfant, idéal cette fois, vient remplacer le premier, réparant ainsi la probable blessure narcissique des parents d'avoir un enfant différent. Aux vues de ces éléments, l'angoisse de déréliction prend, à mon avis tout son sens et permet ainsi de faire le lien entre l'état pré-psychotique d'Antoine et l'abandon précoce dont il a pu faire l'objet.

CONCLUSION

Cette rencontre singulière avec Antoine fait émerger en moi de nombreux questionnements. Le sentiment d'étrangeté que je ressens et son rapport à l'autre très particulier conduisent au désir de relier à des éléments théoriques quelque chose de sa singularité. Ma prudence concernant la qualification structurale des symptômes observés chez Antoine s'explique par le fait que cela permet de laisser ouverte la question de la structure de personnalité car  chez l'enfant, celle-ci gagne à ne pas être figée. En effet, maintenir cette discussion ouverte permet d'entretenir une dialectique autour de l'enfant qui lui laisse la possibilité de devenir sujet.

La remarque d'une éducatrice lors de la première réunion d'équipe « c'est pas un cadeau », a tout d'abord produit une certaine inquiétude en moi puisque Antoine est le premier enfant qu'il m'a été proposé de rencontrer en séances individuelles. L'analyse de cette rencontre avec lui, riche d'expériences, a permis un approfondissement de mes appétences cliniques et de mon goût pour l'énigme du sujet. Finalement, cet enfant est bien entendu différent des autres, comme tout le monde.





BIBLIOGRAPHIE



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WINNICOTT, Donald Woods. (1960). « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux   self ». In Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement. Payot, 1987.



ANNEXE : Retranscription de la première séance


Antoine marche d'un pas hésitant jusqu'au bureau. Il entre, accepte de poser son manteau sur la chaise puis s'y asseoit en essayant de la faire tourner. Il me demande si la chaise a des roulettes et semble très déçu de la réponse négative. Antoine me demande « qu'est-ce qu'on fait ? ». Je lui propose de dessiner, ce qu'il refuse, il préfère jouer. Il va timidement vers les jouets en cherchant mon approbation, explore la pièce, me demande si derrière le paravent c'est une petite maison. Encore une fois, Antoine semble déçu car il n'y trouve qu'un lavabo. L'enfant retourne vers les jeux, dit vouloir construire une maison. Je sors les planchettes en bois mais il n'y touche pas, me faisant simplement remarquer que le petit garçon sur la boîte à construit un château et qu'il aimerait faire pareil. Antoine dit vouloir prendre le camion, sans y toucher. Il cherche ensuite un conducteur, n'en trouve pas. Je lui propose d'ouvrir la boîte de Légos qui se trouve sous le camion benne. Antoine ouvre la boîte, trouve un gendarme. Je comprends que le policier ne peut pas conduire le camion. Il se met à chercher un autre personnage et tombe sur ce qui paraît être une gendarmette. Antoine se met à frapper le premier personnage avec le second, l'allonge et annonce qu'il est « mort ». Cinq autres personnages ont le même destin car ils ne peuvent pas conduire le camion. « Les policiers et l'infirmier sont morts » finit-il par conclure. Antoine dépose ensuite tout ces morts dans la benne du camion. Il trouve un bonhomme qui porte un gilet fluorescent, considère que celui-ci peut conduire le camion-benne et l'asseoit sur la place du milieu. Le personnage est trop grand et se retrouve donc avec les pieds au niveau du volant. Je demande alors à Antoine si le conducteur conduit avec ses pieds ? (en riant un peu), il répond en souriant que « non », essaie plusieurs fois de le placer correctement puis abandonne en disant « c'est bien quand même comme ça, c'est pas grave ». Antoine fait ensuite avancer le camion sur la table avec beaucoup de lenteur, tout en imitant le bruit du moteur. Il me demande de dire « stop ». Je répond à sa demande, dit « stop », et c'est alors que celui-ci rétorque « pourquoi ? ». Je lui demande si lui peut me dire pourquoi le camion s'arrête, et après un petit silence, il répond « parce qu'il y a un feu rouge ». Après avoir répété plusieurs fois ce petit jeu, Antoine annonce que le camion est en panne. Il dit ne pas aimer ça, « veut que la voiture roule ». Il trouve une minuscule boîte à outils et fait semblant de réparer le camion. Antoine trouve ensuite une petite cruche dans le bac à jouets, me demande ce que c'est puis me dit avoir soif. Je montre à l'enfant le lavabo où il peut se servir un verre d'eau, il boit puis veut jouer au loup. Antoine me demande de dire « hou » pendant qu'il se cache derrière le paravent et veut que le loup le mange. Je joue le jeu, dit « hou » et c'est alors que le jeune garçon crie-rit très fort comme s'il avait eu très peur. Lorsque je lui propose de faire le loup, il répond « oui » après un long silence puis insiste longuement pour répéter plusieurs fois la scène. L'enfant dit ensuite vouloir « faire pipi ». Nous descendons tout les deux de manière à ce que je lui montre où se trouvent les toilettes. Nous revenons dans le bureau. Je m'asseois, Antoine s'approche, se place debout devant moi et me demande mon âge. Je lui répond puis lui renvoie sa question. Celui-ci affirme avoir sept ou huit ans, tout en me montrant quatre doigts. Antoine s'asseoit ensuite face à mes pieds et me demande « quel âge tes chaussures ? ». Tout d'abord intriguée par sa remarque, je réponds que je ne sais pas. Ce jeune garçon fait une réponse lui-même en disant que cette chaussure a trois ans et que l'autre a trois ans aussi puis souhaite que je lui donne mes chaussures. Antoine me demande ensuite l'âge de mon nez, de mes cheveux, de mes sourcils, de mes yeux, de mon pantalon, de ma jambe gauche puis de ma jambe droite. Pour terminer, celui-ci se met à caresser passionnément le cuir lisse de mes chaussures. Je décide d'arrêter la séance. En le raccompagnant, Antoine veut toujours que je lui donne mes chaussures (malgré ma remarque concernant le fait que ce sont des chaussures de filles), et  me propose même d'échanger avec les siennes...
Le lendemain, Antoine m'aperçoit dans l'institution, court vers moi bras ouverts en criant « Laurence » et regarde rapidement mes chaussures.



[1]. Institut Médico-Éducatif.
[2]. Extrait du projet d'établissement de juillet 2002 qui, par soucis de confidentialité, ne se trouve pas en annexe.
[3]. Extrait du projet d'établissement de juillet 2002.
[4]. Extrait du projet d'établissement de juillet 2002.
[5]. Le dossier n'indique pas depuis quand les parents d'Antoine sont séparés.
[6]. Centre d'Action Médico-Sociale Précoce.
[7]. Ablation chirurgicale des ganglions lymphatiques.
[8]. Classes d'Intégration Scolaire.
[9]. Se reporter à l'annexe 1 pour voir, schématiquement, à quoi ressemble le bureau.
[10]. voir : annexe 1.
[11]. En m'appuyant sur l'éthique psychanalytique.
[12]. CHEMAMA, Roland et VANDERMERSCH, Bernard. (1995). Dictionnaire de la psychanalyse. Larousse, 2005. Page 337.
[13]. Je ne pourrai pas évoquer les dernières séances puisqu’elles se passeront après la remise du mémoire.
[14]. RACAMIER, P. C. Le psychanalyste sans divan : le psychanalyste et les institutions de soin psychiatriques. Payot, 1993. Page 252.
[15]. Voir, annexe 2 : Retranscription de la première séance.
[16]. Clémence est mon vrai prénom.
[17]. Jeu du tracé construit à deux, élaboré par D. W. WINNICOTT.
[18]. Ces bottes sont en effet celles que je portais lors de la première séance avec Antoine.
[19]. J'apprends un peu plus tard, que les enfants de l'IME doivent mettre des bottes lorsqu'ils vont au jardin.
[20]. Antoine reprend ici des propos que j'ai tenus la séance précédente. Il me demandait de la pâte à modeler mais ayant oublié de la prendre, je lui ai répondu une phrase similaire.
[21]. L'entretien se déroule dans le bureau de l'orthophoniste car celui de la psychologue est occupé ce jour là.
[22]. Quand Antoine veut répéter un jeu que nous avons déjà fait plusieurs fois par exemple.
[23]. Je fais référence, entre autres choses, à la polémique sur le dépistage de la délinquance chez les enfants de moins de trois ans (collectif Pasde0deconduite).
[24]. WINNICOTT, Donald Woods. (1960). « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self ». In Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement. Payot, 1987. Page 120.
[25]. WINNICOTT, Donald Woods. (1960). « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self ». In Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement. Payot, 1987. Page 128.
[26]. Ibid., Page 119.
[27]. Ibid., Page 122.
[28]. WINNICOTT, Donald Woods. (1960). « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self ». In Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement. Payot, 1987. Page 123.
[29]. Ibid., Page 124.
[30]. BERGER, Maurice. Les séparations à but thérapeutique. Privat, 1992. Page 184.
[31]. ANZIEU, Didier. Le Moi-Peau. Dunod, 1995. Page 127.
[32]. ARNOUX, Dominique. Mélanie Klein. PUF, 1997. Page 75.
[33]. GAMPEL, Yolanda. (1990). « Réflexion sur l'identification : incorporation/évacuation. » In GEISSMAN, Claudine et HOUZEL, Didier. Psychothérapies de l'enfant et de l'adolescent. Bayard, 2003. Page 872.
[34]. GASPARI-CARRIÈRE, Françoise. Les enfants de l'abandon, traumatismes et déchirures narcissiques. PUF, 2001. Pge 148.
[35]. FREUD, Sigmund. (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle. Gallimard, 1987. Page 113.
[36]. Question qui se répète dans de nombreuses séances.
[37]. JAITIN, Rosa. (2006). « Clinique de l'inceste fraternel ». In Le journal des psychologues. 240. Page 59.
[38]. GAMPEL, Yolanda. (1990). « Réflexion sur l'identification : incorporation/évacuation. » In GEISSMAN, Claudine et HOUZEL, Didier. Psychothérapies de l'enfant et de l'adolescent. Bayard, 2003. Page 872.
[39]. ANZIEU, Didier. Le Moi-Peau. Dunod, 1995. Page 149-150.
[40]. ARNOUX, Dominique. Mélanie Klein. PUF, 1997. Page 77.
[41]. WINNICOTT, Donald Woods. (1960). « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self ». In Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement. Payot, 1987. Page 17.
[42]. Concept utilisé en psychodrame pour indiquer que le fonctionnement psychique de l'analyste est mis au service du  fonctionnement psychique de son patient, afin de favoriser la mise en mot et la mise en scène.
[43]. GAMPEL, Yolanda. (1990). « Réflexion sur l'identification : incorporation/évacuation. » In GEISSMAN, Claudine et HOUZEL, Didier. Psychothérapies de l'enfant et de l'adolescent. Bayard, 2003. Page 866.
[44]. Impression provenant de la psychologue qui a fait l'entretien d'admission d'Antoine.
[45]. L'équipe éducative ressent à chaque rencontre avec la mère d'Antoine cette impression de vide, de manque, d'incapacité à avoir du désir pour son enfant.
[46]. « Hilflosigkeit » en Allemand.
[47]. CHEMAMA, Roland et VANDERMERSCH, Bernard. (1995). Dictionnaire de la psychanalyse. Larousse, 2005. Page 103.
[48]. LAPLANCHE, J. et PONTALIS, J. - B. (1967). Vocabulaire de la psychanalyse. PUF, 2004. Page 122.
[49]. Ibid., Page 123.
[50]. ANZIEU, Didier. Le Moi-Peau. Dunod, 1995. Page 260-261.