Mémoires, articles, études de cas, clinique individuelle et de groupe.

mardi 2 février 2010

UN CAS DE COCAÏNOMANIE

Étude de cas clinique



INTRODUCTION


L’étude de cas présentée ci-après est issue d’un entretien psychologique réalisé par le Docteur Mario Sanchez, psychanalyste et directeur adjoint de l’Institut Benjamin de Rothschild pour la recherche et le traitement des addictions et de la douleur.

L’analyse du discours d’un patient cocaïnomane nous a permis de réunir non seulement les éléments d’une anamnése, mais aussi les différents affects, ressentis et autres associations propres à dessiner le profil psychologique du sujet dont il est question.

Nous proposerons diverses pistes théoriques afin de tenter de mieux cerner les causes des effets sur l’économie et la dynamique psychique d’un patient toxico-dépendant.

Enfin, il s’agira de penser une prise en charge singulière, adaptée à la problématique que nous aurons mise au jour. Malgré un contexte politico-économique privilégiant les thérapies brèves, nous n’omettrons pas la possibilité d’un soin au long cours.




I. PARTIE CLINIQUE

1) Éléments d’anamnèse

Jacques est un homme d’une quarantaine d’années, marié et père de famille. Il découvre la cocaïne à l’âge de vingt ans, au détour d’autres consommations festives de différents produits. Après avoir pris des amphétamines puis fumé du haschich, Jacques s’injecte de l’héroïne. Il devient dépendant de ce produit pendant dix années. Durant cette période, il contracte l’hépatite C. Au moment de l’entretien, il suit depuis six mois un traitement associant l’Interféron et la Ribavirine. Quand Jacques commence à mieux supporter les effets secondaires de son traitement, il trouve, dans le milieu du sport, un fournisseur de cocaïne. Petit à petit, sa consommation devient très régulière jusqu’à devenir quotidienne pendant un mois et demi. Lorsqu’il délivre le témoignage qu’il nous a été donné de lire, il a cessé depuis quelque temps de prendre de la cocaïne.

2) Éléments cliniques

Au travers de son entretien avec Mario Sanchez, Jacques nous livre un discours dont nous pouvons dégager certains thèmes cliniques en vue de mieux cerner sa personnalité.

- Le thème de la pensée :
Jacques expose une contradiction : d’un côté, il cherche à mieux communiquer avec les autres, à susciter chez eux de l’intérêt tout en s’intéressant lui-même au premier venu, en étant plus à l’écoute ; d’un autre côté, il tente de se préserver de ses propres pensées, d’échapper au flot de paroles de l’autre, de trop l’écouter. « La coke accélère ma pensée et me permet de formuler certaines choses que je ne formulerais pas sans produit. » « (…) Je peux écouter les enfants, leur parler. (…) Je les écoute trop sans cocaïne, (…) je les écoute tels qu’ils sont ». « Avec le produit pour être avec les autres, avec le produit pour échapper aux autres… »
À la question du changement que permet la cocaïne, Jacques est tiraillé entre l’objectif d’être davantage avec les autres et un désir de réconciliation avec lui-même. Prendre cette drogue l’aide à penser sa relation sociale, mais il avoue qu’il ne réussit pas à faire le travail d’introspection qui « lui fait peur, l’angoisse ». « Dès que je me retrouve tout seul à réfléchir sur moi-même, j’éprouve de l’angoisse. » « Dès que je suis tout seul, j’ai une peur panique du vide que cela suscite en moi. » « Finalement, au fond, il y a un vide. Mais je n’ai jamais réussi à identifier ce vide-là. Je continue ma psychanalyse, mais je ne sais pas si, un jour, je comprendrai pourquoi j’ai peur de me retrouver tout seul avec moi-même. »

- Le thème du lien :
« Je n’ai jamais réussi à être en harmonie avec moi-même et avec les autres sans produits. » Il semble que la cocaïne, ou tout autre produit, vient combler une relation d’objet pervertie. Ce qui fait lien dans la relation ne semble pas être le rapport à l’autre mais l’objet fétichisé, la drogue, le produit, le lien social. Selon Daniel Sibony, « tout se passe comme si, traumatisé par les liens bidons – du social ou de la famille - , il s’était donné pour but d’en produire un qui tienne et qui maintienne un lien symbolique qui soit… réel. » À lire les propos de Jacques, il nous semble que ses produits, son traitement, son corps, sont investis partiellement comme des personnes. En parlant de son médicament et de la cocaïne, il dit par exemple : « Les deux se sont croisés, mais ne se sont jamais rencontrés. » Ou bien : « Pour m’éloigner de l’Interféron et retrouver les autres… »
Au moment où Jacques, avant sa maladie, se défoule dans le sport, il rencontre « un gros problème de vie sexuelle » avec sa femme. La compulsion sportive semble s’accompagner d’une compulsion sexuelle non satisfaite : « J’arrivais à la maison et j’aurais bouffé du sexe comme un fou. (…) Là encore, il a fallu que je trouve un moyen pour casser cette libido. » Jacques explique qu’il choisit de ne pas peiner son épouse, de ne pas ressentir la culpabilité de l’adultère en allant voir des prostituées dans des bars. Son langage décrit la relation extraconjugale comme une relation à un objet concret, à un produit : « Je ne préfère pas y toucher. », « J’étais plongé là-dedans, (…) Même si je ne consommais pas d’actes sexuels, cela me permettait d’avoir un rapport de séduction qui me manquait. »

- Le thème de la séparation du faux et du vrai self :
Nous avons trouvé dans le discours de Jacques de nombreux passages faisant état d’une « cassure » entre des facettes de lui-même, qu’il cherche soit à mettre en avant, soit à réprimer. Il s’agit selon nous de la construction d’un faux self, dont la cocaïne finit pas être le ciment ; et de la subsistance d’un vrai self, que Jacques sent émerger par moment, mais qu’il supporte difficilement du fait d’un manque probable de pare-excitation. « Dans ma vie, je n’ai pas vraiment de passions. La cocaïne me donne l’impression, physiquement, d’être passionné, exalté. (…) Je voulais retrouver les capacités du héros. Est-ce que je peux passer du petit médiocre au héros chevalier sans une rupture brutale avec quelque chose ? »
Jacques se décrit comme un homme sous l’influence du discours des autres et de la société, dont il s’est approprié les repères mais qui ne sont pas les siens : « Mes repères à moi, je n’arrive pas à les ériger. Lorsqu’ils apparaissent soudainement, ils me submergent. Je mettrai toujours de côté le sentiment intérieur que j’éprouve pour me permettre de continuer à rester dans le moule collectif. » Il s’agit pour lui de « faire des allers et retours » entre deux états . Un état héroïque, dans lequel il joue un rôle d’organisateur, de « bon père de famille petit-bourgeois », qui est disponible, prend des initiatives, décroche son téléphone pour inviter ses voisins et ses amis. Un second état, qu’il nomme « état Interféron », qui semble être celui qu’il connaît dans ses moments vierges de produits. Celui-ci se caractérise par des douleurs, des appréhensions et des angoisses, « un état de démission physique et psychologique ». Il explique alors qu’il n’essaye pas de fuir les choses mais de les rendre les moins douloureuses possible. « Au contraire, dit-il, j’ai une prise trop forte sur les choses. Ou plutôt, les choses ont une prise trop forte sur moi. Je n’arrive pas à filtrer (…) je suis dénudé, à poil. Comme au soleil, avec rien, pas de crème protectrice. Je me brûle. Ça fait mal. »
Malgré cette impression de clivage entre un faux et un vrai self, dans lequel il n’y a pas de place pour l’entre-deux, Jacques nous semble conscient d’un dysfonctionnement. « Je me suis collé comme idéal de bonheur des normes sociales. Mais cela ne correspond pas toujours à ce que je suis réellement. Il y a alors un décalage et j’en suis frustré. Je me suis appuyé sur des discours sociaux, collectifs, j’ai essayé de les mettre en place, mais cela ne marche pas. »

- Le thème de la culpabilité :
De ce dysfonctionnement psychique, Jacques retire surtout un sentiment de culpabilité : « Il y a sûrement quelque chose qui déconne en moi. C’est de ma faute. » La cocaïne donne à Jacques le sentiment d’être héroïque, mais de ce fait le ramène à ses propres faiblesses : « J’essaie de me rapprocher de moi-même. En même temps, la culpabilité intervient très vite. (…) j’entre donc dans un processus plutôt dépressif. » Et lorsque le thérapeute l’interroge sur son désir d’être héroïque, Jacques mentionne qu’il a toujours voulu cela depuis tout petit, qu’il a « toujours voulu faire plaisir aux autres » : « J’ai toujours voulu me racheter de je ne sais quoi. Plaire aux autres, qu’ils soient contents de moi. » Cela reviendrait à ce qu’il nomme sa quête, « une recherche d’amour, le désir que les gens m’apprécient. » Ce qui nous fait associer à sa réflexion au sujet des autres : « Je n’ai jamais détesté personne. » Or, André Green nous a appris que chez l’enfant abandonné, le garçon surtout, les symptômes principaux sont l’identification à la mère morte accompagnée de sentiments de culpabilité et de haine à son égard. Jacques chercherait ainsi à ranimer l’objet primaire, à le contenter, à le séduire et le satisfaire, avec le sentiment inconscient d’être responsable d’une faute irréparable. « Qu’est-ce qu’il pense ? Pourquoi il a dit ça ? Qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je peux apporter ? Ce sont toujours ces questions qui reviennent, sans cesse. J’ai besoin de me libérer, de me reposer, de m’apaiser avec moi-même. Je pensais que la coke m’y aiderait. Au début, (…) cela m’a réconcilié avec les autres. Mais finalement mon problème, c’est la solitude. »


II. PARTIE THÉORICO-CLINIQUE

1) La mère morte et la question du vide

Jacques évoque régulièrement son sentiment d’être vide lorsqu’il ne prend pas de cocaïne. Rester seul avec lui-même provoque de l’angoisse, ce qu’il relie à sa peur du vide. Nous pouvons penser que Jacques se bat contre la dépression. Bien que nous manquions d’éléments sur l’histoire de cet homme, il nous semble pertinent d’imaginer que celui-ci a été pris dans le fantasme dépressif de l’objet primaire. Cela pourrait se rapprocher du concept de la mère morte d’écrit par André Green, dans la mesure où celle-ci est bien vivante, mais morte psychiquement. Pour se sentir exister, l’enfant a besoin d’investir l’objet et de ressentir son amour. La mère étant absente psychiquement, l’enfant va tenter de lui redonner vie par ses stimulations. Or, Françoise Gaspari-Carrière nous apprend qu’« il y aura symptôme abandonnique lorsque l’abandon n’est pas achevé, ni nommé, ni accompli, maintenant le sujet dans une illusion fâcheuse qui l’empêche de rompre avec le rêve et d’accéder à la solitude. » Le sujet ne peut pas réellement faire le deuil de sa mère, puisqu’elle est toujours en vie.

L’angoisse dépressive se transmet et entraîne un clivage de l’objet dans lequel la faille est impossible à accepter. L’angoisse d’anéantissement et du manque éprouvé précocement se mêle alors à la crainte de l’effondrement. Selon Daniel Sibony, « le futur toxico n’a pas toujours "fui" le manque ; mais l’épreuve lui en fut impossible. S’il a eu des parents (…) sans grande altérité, n’ayant rien transmis de leur faille, de leur mémoire, de leur histoire, alors l’existence même du manque ou de l’Autre lui devient traumatique. Après tout, être en manque de drogue, c’est savoir de quoi on manque ; on peut chercher à le combler… Mais si vous manquez d’être ? Ou de manque plus vivant ? »
Le manque n’est pas structurant et oblige le sujet à s’accrocher à un objet de substitution, pour supporter son angoisse du vide et les symptômes dépressifs qu’il s’est appropriés, par identification à l’objet primaire. Ce besoin d’étayage, caractéristique des pathologies limites, est en lien avec un important sentiment d’insécurité intérieure. Ces patients présentent également une grande instabilité affective et une dépendance anaclitique. Cette dépendance à l’Autre se caractérise par un clivage de l’objet et des sentiments d’amour et de haine.

2) Le faux self et le fétiche

Dans son discours, Jacques alterne régulièrement entre bon et mauvais objet. Il fuit le vide dépressif avec la cocaïne et peut alors mettre en acte son fantasme de toute puissance narcissique, à travers son désir d’être un héros. Ce désir extrême nous laisse penser que Jacques se trouve encore dans une position infantile de maîtrise de l’Autre, dans le désir de redonner vie à sa mère sans pouvoir élaborer cette perte. De la même manière, il semble vouloir redonner vie à son épouse lorsqu’il a envie de « bouffer du sexe comme un fou » face à cette femme « installée, tranquille, danoise, pas particulièrement portée sur l’exubérance sexuelle ». Lorsque Jacques aperçoit l’insupportable de son impuissance, de la faille, il se confronte à la même impossibilité que d’être un « bon père de famille », sans étayage par le produit. Cette impuissance fait alors place à la culpabilité de ne pas avoir sauvé l’objet maternel : « J’ai toujours voulu me racheter de je ne sais quoi. »  Il doit reprendre «  la traversée du vide, retrouver des entre-deux soutenables, refaire le partage dynamique entre les deux pôles – rationnel et irrationnel – pour retrouver la raison et l’impulsion de ses au-delà. »

Les sentiments d’amour et de haine se retrouvent dans son discours et sont teintés de défenses pouvant être reliées au faux self. Selon Donald Woods Winnicott, « (…) la soumission du nourrisson (…) est le tout premier stade du faux "self" et elle relève de l’inaptitude de la mère à ressentir les besoins du nourrisson. (…) Le faux "self" a une fonction positive très importante : dissimuler le vrai "self", ce qu’il fait en se soumettant aux exigences de l’environnement. (…) La soumission est alors la caractéristique principale et l’imitation une spécialité. » Jacques semble jouer le rôle du héros afin de surmonter l’insupportable.
Cependant, ce rôle nécessite l’appui d’un objet extérieur telle que la drogue. Ce substitut lui évite d’affronter sa crainte de l’effondrement et chaque fois qu’il met un terme à une drogue (sport, cannabis, amphétamine, héroïne), une nouvelle prend la place de la précédente. Les éléments mettant en avant un faux self pathologique s’unissent à une forte rigidité. Jacques semble rigide et très conventionnel dans son désir de « montrer une image de père et de mari qui correspond à l’idée qu’(il) (s)’en fait. » Il se dit « traditionaliste », cherche à séduire, est dans « une recherche d’amour » et désire « que les gens (l)’apprécient ». Avec la cocaïne, « je peux jouer mon rôle de père », « retrouver les capacités du héros », « rester dans le moule collectif ». Jacques semble investir l’objet de manière fétichique et compulsive qui laisse penser qu’il a subi un traumatisme précoce, pouvant être défini comme une effraction du pare-excitation. Selon Sibony, « (…) la drogue fait collage entre la réalité et le narcissisme, entre réel et inconscient, entre corps et sexe, entre matière et mémoire. Et par là, nous rejoignons bien des pathologies limites, qu’on ne qualifie pas de perverses mais qui relèvent de cette même logique où l’entre-deux essentiel – entre nom et corps – se confond sur un même point brûlant – "pervers", phobique ou autre – qui fige le corps. », « La prise sur l’Autre passe par la prise du produit. »
Les propos de Jacques sur sa relation à l’Autre alternent entre défaillance et puissance, sans laisser de place à un entre-deux permettant le mouvement, la flexibilité. Daniel Sibony continue en expliquant que « c’est d’un point de vue beaucoup plus large sur les perversions – en tant que constructions destinées à obturer les fissures de la loi et à en combler les manques, quitte à en faire un fétiche – que la toxicomanie semble un modèle de tels montages. (…) La toxicomanie traduit le fait que, pour certains, il est quasi impossible de supporter des liens partiels et de vivre un rapport à une loi symbolique marquée de manques et de failles. » Jacques est ainsi en prise avec un fantasme de Moi idéal qu’il est incapable de dépasser.


III. PROPOSITIONS PSYCHOTHÉRAPEUTIQUES

L’analyse qui vient d’être faite peut être critiquée dans la mesure où « si nous arrivons bardés d’un savoir (…), nous ne ferons que vérifier les prémisses que nous avons posées. » Dans la pratique psychothérapeutique, son exercice ne peut s’effectuer qu’en renonçant à la théorie. Le sujet échappe au savoir par son unicité. Bien que nous ne soyons pas dupes du décalage à adopter dans la pratique clinique, ce travail étant une recherche, il reste du domaine du discours, donc de la théorie. Nous tenterons, dans cette dernière partie sur la pratique du psychologue, d’allier les deux objectifs : de recherche et de pratique clinique. Du point de vue de notre éthique personnelle, nous allons tenter de penser cette pratique, en l’orientant vers un angle psychanalytique. Il nous importe en effet, dans la relation avec le patient, de lui signifier sa place de sujet afin d’éviter de l’enfermer dans un rôle de « toxicomane ». De plus, nous ne nous placerons pas du côté du « bien » maternel, dont il tente justement de se déprendre au moyen de sa toxicomanie, « ce patient ne pourra que refuser et défier cette nouvelle "séduction" d’un amour maternel énigmatique et aliénant. » Ainsi, le sujet reprend à son compte son propre désir et se réapproprie son histoire. Le thérapeute, qui en est le garant, réside aussi de notre point de vue en la personne du psychanalyste.

Jacques, dont il est question dans cette étude, évoque son travail en psychanalyse. Il semble douter de sa capacité à comprendre un jour sa peur de se retrouver seul avec lui-même. Il évoque ainsi une souffrance qui permet de faire émerger une demande, ce qui engendre la possibilité d’une relation transférentielle avec le thérapeute.

D’après les réflexions que Jacques nous livre, nous pouvons penser que celui-ci requiert un fort besoin d’étayage. Effectivement, de par sa relation d’objet anaclitique et la mise en place d’un faux self défensif, la prise en charge ne peut pas faire l’économie du temps. Peut-être même, Jacques aura-il besoin d’un soutien tout au long de sa vie ?

Le soutien pourra cependant prendre d’autres formes puisque c’est le soutien lui-même qui prendra la place du lien totalitaire. En effet, « si ce lien passe par l’expérience où déjà il peut se déplacer, se transmuer, ce n’est pas rien. Car comme lien absolu, il ignore les changements d’état ; donc s’il peut en connaître et que l’individu s’aperçoive que le lien de la drogue, un patriarche peut le lui apporter, un gourou, une autre drogue, une autre activité, une institution, cela n’a l’air de rien puisque de toute façon il est prisonnier, mais ce n’est pas rien. (…) C’est l’idée de changement qui peut s’introduire, et en soi elle est positive. »

Une thérapie brève ne serait pas envisageable pour Jacques, dans la mesure où « (…) lorsque l’analyste commence à établir le contact avec le vrai « self » du patient, il y a nécessairement une période de dépendance extrême. » Dans ce contexte, nous nous interdirons la recherche de la guérison, sachant que comme l’indique Sibony, « le "retour" du toxico (…) a lieu quand le drogué consent à n’être plus réduit à lui-même et au lien autonome qu’il a centré sur le produit. Le plus souvent, le toxico reste captif de ceux qui le libèrent, comme s’il acceptait qu’on retraduise les fétiches pas qu’on les supprime. » Nous souhaiterions reprendre à notre compte les réflexions de Sibony, car concernant Jacques, il s’agit moins de proposer un éventail de modèles que de transmettre des secousses dues au passage d’un point à un autre ; de transmettre le changement comme possible, et l’idée que nul n’est défini ou épuisé par son symptôme.

Concernant la question de l’élaboration fantasmatique, il nous semble que dans le cas de Jacques, cette élaboration ne soit pas complètement figée mais qu’elle subsiste par endroits. En atteste son engagement psychanalytique. Or, pour relancer la dynamique fantasmatique, selon Sylvie Le Poulichet, il s’agit d’éveiller les "pourquoi ?" de l’enfant. Nous remarquons que Jacques a déjà accès à cette élaboration à travers les « signifiants-carrefours » qui se répètent dans son discours. Il serait donc pertinent de lui proposer d’intégrer un groupe de psychodrame analytique afin de lui permettre une confrontation avec ses conflits inconscients, tout en renforçant sa confiance dans l’existence et la créativité du Moi. En effet, Jacques évoque parfois son ennui, et son impression d’être vide, inexistant.
De plus, le jeu avec les autres participants lui permettra d’éprouver la défaillance de l’Autre - celle-là même qui lui était insupportable dans sa relation à l’objet primaire - et de remettre de l’entre-deux, du mouvement, dans l’intersubjectivité. D’autre part, la fiction que crée le jeu participe de la levée de certaines inhibitions. Cette dernière fonction rejoint le but qu’il assigne à la prise de toxiques et peut provoquer, sinon un abandon de l’objet totalitaire, au moins un décalage et une division, en vue d’accéder à l’altérité. Le psychodrame est aussi une proposition allant dans le sens de celle de Syvlie Le Poulichet qui indique que « ce dont parle le patient, il le jouera en acte dans la relation transférentielle » du jeu psychodramatique.


CONCLUSION


Ce cas clinique nous permet de comprendre l’importance de prendre en compte la singularité du sujet dépendant et de laisser les discours globalisants qui peuvent exister sur la question de la toxicomanie.

Dans la pratique clinique, il s’agit alors de se déprendre de son savoir puisque celui-ci ne protège pas de la défaillance. Accepter le manque en tant que thérapeute peut induire chez le patient l’acceptation de sa propre défaillance, de ses propres manques. « D’où ce paradoxe : si l’on oppose aux toxicos et autres fétiches un modèle où la question du manque est réglée, où "Dieu merci on ne manque de rien", alors on les enfonce dans leur état, on ne leur laisse que cette issue. Une société normale, normée, fonctionnelle, où "tout va bien", produit en série des toxicos de toutes sortes (…) des êtres qui ont besoin de se défoncer pour savoir qu’ils existent. Ils ont les symptômes de cette société et surtout ses cris de détresse, ses cris de silence qu’elle n’entend pas. »

Au-delà de ce constat, ne serait-il pas opportun de penser les choses également en terme de prévention ? En effet, dans une société comme la nôtre où la consommation est toute puissante et dans laquelle l’argent répond immédiatement à la demande, où se trouve la place du manque structurant ? Nous apercevons ainsi le risque de la satisfaction facile, ordonnée par la culture du manque de rien. Sibony met en garde en conseillant « d’initier nos enfants et nos ados à la fonction du manque, de l’imperfection (…), de la faille (…), leur transmettre un peu de nos démêlés avec nos manques ; notre droit d’en avoir. »

BIBLIOGRAPHIE



- Gaspari-Carrière Françoise, (2001). Les enfants de l’abandon, traumatismes et déchirures narcissiques. Grenoble, Presse Universitaire de France.

- Green André, (1983). Narcissisme de vie, narcissisme de mort. Éditions de Minuit.

- Le Poulichet Sylvie, (1988). Réflexions sur la toxicomanie : évolutions. 4ème journée départementale de l’association Imagine, dans Toxibase n° 502645, 1989.

- Sanchez Mario & al. (3 septembre 2004). « “L’impression d’être un preux chevalier en armure.” Entretien avec un consommateur de cocaine. » In : Qu’avons nous fait des drogues ? Éditions Autrement.

- Sibony Daniel, (1991). Entre-deux. L’origine en partage. Seuil.

- Sibony Daniel, (2000). Perversions. Dialogues sur des folies "actuelles". Seuil.

- Winnicott Donald Wood, (1960). « Distorsion du Moi en fonction du vrai et du faux self » in Processus de maturation chez l’enfant. Développement affectif et environnement. Éditions Payot.